Parmi les recueils de poésie parus récemment ou à paraître bientôt, voici quatre titres qui ont retenu notre attention

La beauté clinquante du drame

En 1915, à la veille de la révolution russe, les destins de Vladimir Maïakovski et de Lili Brik se croisent. Quinze ans plus tard, à 36 ans, le poète de l’avant-garde se tire une balle dans le cœur. « Lili, aime-moi », manifeste-t-il dans sa lettre de suicide. De cette relation tragique jailliront des mots chargés, douloureux, que Tania Langlais revisite brillamment dans son plus récent recueil, Les pommiers dépassaient partout des palissades. Dans cette œuvre qui célèbre la beauté clinquante du drame, il est question du désespoir et de l’amour immodéré. « La poitrine démesurée / je suis fatigué comme l’animal / je creuse tes heures / les ongles sales / voici que ton cœur / recommence / voici que ton cœur se surprend / à battre aux poignets », écrit l’autrice, dont l’exercice consiste entre autres à se mettre dans la peau de Maïakovski. Grâce à l’écriture finement ciselée et aux accents théâtraux de Tania Langlais, on sent la pulsion de vie du narrateur ralentir à chaque page, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien... ou presque. « Voici les restes la dentelle /avant que ta chemise / nous tue / qu’on emporte ton corps / voici les branches des pommiers / je n’ai rien à raconter / de plus. »

Les pommiers dépassaient partout des palissades

Les pommiers dépassaient partout des palissades

Les herbes rouges

95 pages

8/10

Le muscle littéraire

Comme son nom l’indique à merveille, le recueil Proust au gym est né de l’union de deux univers qui se rencontrent plutôt rarement : celui de l’entraînement et celui de la lecture. C’est le poète Anthony Lacroix qui signe ce livre original, duquel se dégagent une touchante candeur et un grand sens de l’autodérision. Anthony veut « lire tout Proust et avoir des abdos découpés », perdre 20 livres et finir son mémoire de maîtrise en géocritique. Il est donc forcé de se lancer dans un exigeant programme sport-lecture-rédaction, qu’il documente ici avec humour. ​​ « À la recherche du temps perdu en livre audio / c’est cent vingt-huit heures et six minutes d’écoute / c’est plus de cent séances de gym. » Avec dans ses oreilles la version audio de la brique de Proust, il multiplie les séances de musculation, longues listes d’exercices qui inspirent le découpage de ses strophes. « Je passe mon temps à écouter La recherche / étendu sur les matelas de la zone d’étirement / au lieu d’échauffer mes muscles convenablement. […] Mon entraînement et Proust deviennent concomitants. » C’est dans la solitude de la salle de gym que le narrateur remet en question ses choix et constate ses obsessions. Une œuvre surprenante et charmante sur la réussite à tout prix et sur l’anxiété de performance qui ne peut que ronger tout produit du siècle dernier.

Proust au gym

Proust au gym

Les Éditions de Ta Mère

105 pages

7,5/10

Poignante traduction

La traduction a cela de magique qu’elle peut nous faire redécouvrir une œuvre qui commence à dater. Initialement paru en 2007 en anglais, Quelque chose de brillant avec des trous est dorénavant offert dans la langue de Molière, grâce à la plume de Céline Leroy et aux Éditions du sous-sol. Si on connaît déjà la poésie de Maggie Nelson, on a l’impression fascinante de lire une sorte de prémonition de la suite de son œuvre. Comme si ce recueil annonçait à la dérobée tout ce que la poète allait déconstruire après. La forme est indéfinissable, transcende les genres, quelque part entre le récit de soi, le manifeste et la poésie. C’est que Maggie Nelson, c’est avant tout une voix, et non pas un style ni un thème. Sa littérature ne s’offre pas avec évidence, elle est juste assez opaque et se laisse déchiffrer, et c’est ce qui est si beau. Ses textes, teintés de philosophie et empruntant beaucoup d’images à la nature, nous amènent avec elle dans un univers où les pires douleurs, les pires injustices, peuvent être sublimées par les mots. « Vivre comme si tout annonçait le bien-aimé et c’est le cas / Puis la purge / Tu es peut-être la mer pour moi, ou le contraire / une hypothèse des plus raisonnables / Tu ne vois pas que je suis occupée / à trianguler ». Et si on ne devrait pas juger un livre par sa couverture, celle de Quelque chose de brillant avec des trous, jaune et magnifiquement percée d’un trou, mérite qu’on l’observe un moment avant de plonger.

En librairie le 18 mai

Quelque chose de brillant avec des trous

Quelque chose de brillant avec des trous

Les Éditions du sous-sol


103 pages

7,5/10

Lettre d’adieu à la vie

Fort d’une carrière littéraire de plus de 30 ans, l’écrivain français Christian Bobin a laissé au monde un dernier morceau de sa poésie avec Le murmure, recueil terminé juste avant sa mort en novembre 2022 et publié de manière posthume. « Il faut entrer dans un poème quand le poète est mort. Sinon, cela fait trop de bruit, comme d’éclairer soudain le poulailler », écrit-il, évoquant son départ imminent comme un peu partout ailleurs dans l’œuvre. Comme un condensé de son style, ce texte en prose se lit à voix basse et les yeux fermés, comme prescrit par Bobin à travers sa langue limpide. Malgré quelques clichés – ce qui est quasi inévitable lorsqu’on s’attaque à des thèmes universels comme la vie quotidienne et la spiritualité –, l’auteur nous invite à ralentir, à écouter les chuchotements et à trouver la joie dans les petites choses, ce qui conforte et ravive à la fois. L’écriture de Christian Bobin est sensible et offre une belle réflexion sur l’existence et la quête de sens. « Je compte pour rien ma vie. Ne va-t-elle pas disparaître en moins de temps qu’il ne faut à l’oiseau pour s’arracher de la branche ? Je compte pour rien ma vie, mais pas le souffle qui la porte, l’architecture du souffle dans la nef de la cage thoracique. » Pour renouer avec la contemplation et se faire infuser une dose de gratitude pour la beauté du monde.

Le murmure

Le murmure

Gallimard

129 pages

7/10