Dans son nouveau recueil de poésie, Des morceaux de temps, Jean Sioui contemple le chemin parcouru. Il s’évade dans ce « pays mystérieux » qui existe en chacun de nous, revisite le passé et capture ces instants fugaces, échappés de sa mémoire, tout en posant sur l’avenir sa perspective d’éternel optimiste.

« Des morceaux de temps, c’est une réflexion sur ma vie », confie le poète originaire de Wendake, de passage à Montréal la semaine dernière.

« Je commence à être âgé, et je regarde comment a évolué l’histoire, où on en est aujourd’hui dans nos relations avec les autres populations et comment on peut vivre, maintenant, ces moments présents. »

Désormais, c’est avec douceur et paix qu’il écrit, dit-il – cette même douceur qui émane d’ailleurs de chacun de ses mots quand il s’exprime.

Tout en racontant les siens à travers ses rêves et ses souvenirs, Jean Sioui laisse parler dans ses poèmes ce qu’il voit, ce qu’il imagine et ce qui vient à lui, laissant à ses lecteurs l’entière liberté de les interpréter à leur guise. « Je dis des choses que j’aime en poésie, et je vous l’offre. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Pour Jean Sioui, il est temps aujourd’hui pour les peuples d’apprendre à se connaître. De se rencontrer et de chercher à savoir qui est l’Autre pour arriver à construire un vivre-ensemble.

Du passé remonte entre autres ce souvenir de pêche avec son père, dans ce club où « les truites parlaient en anglais » et « les cannes à moucher s’entremêlaient », écrit-il, et où il est retourné avec son fils, des décennies plus tard.

Mais il y a aussi ces blessures surgies de l’ombre, qu’il effleure en parlant de « la religion de tes églises » et de ces enfants qui ont été pris.

« Quand j’ai commencé l’école, raconte Jean Sioui, c’était dans une école de mission, avec des religieuses. C’est avec beaucoup de respect que je le dis – je ne veux pas tout détruire là-dedans –, mais moi, ce que j’ai ressenti et ce que j’ai vécu pendant une bonne période, c’est qu’on a été contrôlés ; on a voulu nous changer. »

Pourtant, il n’y a aucune rancœur qui transpire de ses vers, face aux cicatrices du passé.

Ce sont des choses qu’on ne doit pas oublier, mais on ne doit pas toujours continuer de pleurer. On est passé par ça, on vit encore, on continue. Ce que je dis dans mes livres, c’est qu’il faut arrêter de se lamenter pour voir la force qu’on a maintenant.

Jean Sioui

Se connaître

Pour le poète, il est temps aujourd’hui pour les peuples d’apprendre à se connaître. De se rencontrer et de chercher à savoir qui est l’Autre pour arriver à construire un vivre-ensemble. « Je crois qu’on en est rendu là, à se parler. On entend beaucoup parler de guérison, puis on demande pardon. Je ne veux pas qu’on nous demande pardon encore pendant 20 ans. On a besoin de se connaître, de savoir qui on est ; c’est comme ça qu’on va s’apprécier. Quand on va se connaître, on n’aimera plus nous juger et nous traiter de toutes sortes de façons », dit-il avec bienveillance.

Si Des morceaux de temps évoque le chemin parcouru, Jean Sioui a traversé de son côté une route dont il ne peut qu’être fier depuis la publication de son premier livre, Le pas de l’Indien, en 1997. De la petite librairie ouverte il y a près de 15 ans avec son fils Daniel, dans une pièce de la maison paternelle à Wendake, sont nées les Éditions Hannenorak, qui font rayonner la littérature et les auteurs autochtones, et le Salon du livre des Premières Nations, qui a tenu l’automne dernier sa 12e édition. À titre de mentor, le poète s’est également beaucoup promené dans les communautés pour encourager les jeunes autochtones à écrire.

Je dis souvent dans mes livres qu’un Indien, c’est un poème de la nature. La musique, les mots, la poésie – pour les gens des Premières Nations, c’est tout naturel que ça s’exprime.

Jean Sioui

Mais tout modeste qu’il est, c’est à mi-voix qu’il se réjouit, un sourire discret aux lèvres, de la médaille qu’il a reçue du lieutenant-gouverneur du Québec en décembre dernier, en compagnie d’autres membres des Premières Nations pour souligner leur parcours inspirant.

« Des morceaux de temps, c’est ma 14publication. Je pense qu’après mon 15livre, je vais m’arrêter. Je vais avoir 76 ans et les mots commencent à être difficiles à aller chercher. Le prochain, ça va être quelque chose que je veux écrire à plus long terme – complètement autre chose, pour fermer la boucle. Comme une retraite en écriture différente. Mais peut-être que ce ne sera pas ça non plus », dit-il en souriant.

Des morceaux de temps

Des morceaux de temps

Mémoire d’encrier

64 pages