(Ottawa) Le registre des agents d’influence étrangers que compte établir le gouvernement Trudeau aura à sa tête un commissaire indépendant qui aura le pouvoir d’imposer de fortes amendes aux personnes et aux organisations qui se livrent à des activités d’influence au nom d’un pays étranger ou d’une entité étrangère sans d’abord s’inscrire au registre.

Ce qu’il faut savoir

  • Le gouvernement Trudeau promet de créer un registre des agents d’influence étrangers depuis plusieurs mois.
  • Le projet de loi donnerait à un commissaire le mandat d’administrer le registre.
  • De fortes amendes ou des peines plus sévères pourraient être imposées aux fautifs.
  • Le Bloc québécois estime qu’il faut rendre obligatoire la double inscription au registre, soit celle de l’agent étranger et de la partie canadienne rencontrée.

Dans les cas les plus graves, le commissaire responsable de l’administration du registre aura aussi le pouvoir de faire appel aux corps policiers pour mener des enquêtes, selon des informations obtenues par La Presse. Ces enquêtes policières pourraient ainsi mener au dépôt d’accusations.

Le ministre de la Sécurité publique, Dominic LeBlanc, doit présenter au cours des prochaines semaines un projet de loi visant à créer un registre des agents d’influence étrangers s’inspirant des modèles qui sont déjà en vigueur dans des pays alliés comme les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie.

PHOTO ADRIAN WYLD, LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre de la Sécurité publique, Dominic LeBlanc

Les diplomates, les agents consulaires et les employés des ambassades ainsi que les fonctionnaires au service d’organisations internationales reconnues ne seraient pas touchés par cette loi dans la mesure où les activités qu’ils mènent au pays s’inscrivent dans le cadre de leurs fonctions officielles, selon nos informations.

La création d’un registre doit permettre de lutter « contre l’influence étrangère malveillante et non transparente au Canada en établissant des exigences d’inscription pour les individus ou les organisations agissant sous la direction ou en association avec une entité étrangère pour se livrer à des activités d’influence étrangère », peut-on lire dans un document du ministère des Affaires étrangères détaillant les contours de ce registre.

La Presse a obtenu récemment ce document en vertu de la Loi sur l’accès à l’information tandis que la Commission sur l’ingérence étrangère a entrepris cette semaine ses audiences. La commission se penche sur les activités d’ingérence auxquelles des pays comme la Chine, la Russie et l’Inde se sont livrés pour tenter d’influencer les résultats des élections fédérales de 2019 et de 2021.

La création d’un registre est considérée par les experts comme l’un des meilleurs moyens pour contrer l’ingérence étrangère.

Le document a été rédigé à l’intention du sous-ministre des Affaires étrangères David Morrison en prévision d’une rencontre en juin 2023 avec l’ambassadeur de Chine à Ottawa, Cong Peiwu. Ces informations n’étaient pas destinées à être communiquées au diplomate chinois, même si le dossier de l’ingérence étrangère devait être abordé durant la rencontre qui visait à faire le point sur les relations entre le Canada et la Chine.

Des sources gouvernementales ont confirmé à La Presse que la création d’un poste de commissaire doté de pouvoirs importants est dans les cartons, comme cela est décrit dans le document en question.

Un registre administré par un commissaire serait d’ailleurs présenté comme « un modèle fabriqué au Canada » réunissant les meilleures pratiques de ses principaux alliés.

Double inscription

Le gouvernement Trudeau jongle depuis plusieurs mois avec l’idée de créer un tel registre. Au printemps, il a même tenu des consultations publiques à ce sujet. En octobre, un comité parlementaire a réclamé la mise sur pied d’un registre le plus rapidement possible. Un projet de loi en ce sens devait être déposé l’automne dernier, mais il a été reporté.

Récemment, le bureau du ministre Dominic LeBlanc a fait savoir que la création d’un registre faisait partie d’une série de modifications législatives envisagées au cours des prochains mois « pour moderniser et renforcer nos lois en matière de sécurité nationale ».

Le Bloc québécois pourrait toutefois prendre le gouvernement de vitesse. Devant la lenteur d’Ottawa à agir, le député bloquiste René Villemure a l’intention de déposer un projet de loi d’ici la fin de mars afin de créer cet outil réclamé par de nombreuses organisations depuis plusieurs mois.

S’il juge utile de créer un poste de commissaire chargé d’administrer le registre, M. Villemure a affirmé qu’il faut aller plus loin encore. Il croit qu’il faut imposer non seulement aux agents d’influence étrangers l’obligation de déclarer leurs activités, mais aussi à la partie canadienne qu’ils rencontrent, peu importe que la personne soit un député ou un sénateur, un fonctionnaire ou un professeur dans un établissement d’enseignement.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Le député du Bloc québécois dans la circonscription Trois-Rivières, René Villemure

Nous insistons pour une double inscription. C’est le secret pour que cela fonctionne. Une telle mesure permettrait de mieux identifier [l’infraction].

René Villemure, député du Bloc québécois

« Je crois qu’à la base, il faut être en mesure de détecter. C’est pour cela qu’il faut obliger les deux parties à être dans le registre. Une non-conformité à cela devient une [infraction] », a expliqué M. Villemure, qui est un expert sur les questions d’éthique.

Il a précisé qu’il existe plusieurs registres dans le monde, mais qu’aucun n’exige la double inscription. « Mon projet de loi est essentiellement rédigé », a-t-il dit.

Le Parti conservateur avait tenté de faire adopter un projet de loi pour créer un registre avant les élections fédérales de 2021. Mais il était mort au feuilleton à la suite du déclenchement des élections.

Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse