Si tout va comme prévu, le 11 janvier prochain, Mélanie Lachance assistera à un concert d’Alexandra Stréliski avec une trentaine de ses proches. Deux jours plus tard, elle mourra. Dans notre société qui occulte la finitude, son parcours est une véritable leçon de vie et de mort.

Mélanie Lachance a 26 ans, deux enfants en bas âge, un foyer d’accueil et d’étranges maux de ventre quand un médecin lui apprend qu’elle souffre d’un cancer des ovaires. Les traitements sont compliqués, mais en 2009, une rémission complète est annoncée.

« Je sentais que ça allait revenir, me confie Mélanie. Je me disais que je voulais vivre jusqu’à la majorité de mes enfants. »

La vie suit son cours. Mélanie et son mari de l’époque hébergent 11 enfants au fil des ans, elle crée son entreprise de photographie, les petites deviennent grandes, le couple se sépare, puis, en mai 2021, la mère de famille devine que son corps et la maladie renouent.

À la même période, elle croise un gars qu’elle a déjà vu à l’occasion dans le cadre de son travail. Sauf que cette fois, elle tombe amoureuse. Parce que même quand tout déraille, je le répète : la vie suit son cours. Mélanie prévient son beau François d’entrée de jeu : « Je ne peux pas te donner de garantie de santé. Pour la maladie, je ne consulte personne. Ça, c’est à moi. Et si tu me dis chaque jour que tu espères un miracle, je vais te sacrer dehors. »

Marché conclu.

En février 2022, la récidive est confirmée. On propose à Mélanie un traitement anti-hormonal pour ralentir la progression du cancer. L’accepter, ce serait toutefois prolonger un état accablant. « Je suis fatiguée, admet-elle. Ça fait des années que je n’ai pas eu une journée sans grande douleur. Morphine, Dilaudid, y’a rien qui me soulage complètement… »

PHOTO FRANÇOIS LEMIEUX, FOURNIE PAR MÉLANIE LACHANCE

En voyage à Paris, en avril dernier

Mélanie a 40 ans, ses filles Elsy et Maya ont atteint la majorité. Elle décline la proposition des médecins et se donne un an pour continuer à vivre, mais à vivre vraiment.

Elle visite Hawaii, Paris et l’Ouest canadien. Elle saute en parachute, assiste au Festival d’été de Québec et à Osheaga, puis voit des dizaines de spectacles. Elle dit que « [sa] vie, c’est comme sept samedis par semaine ».

Autant elle est épuisée, autant elle trouve des grenailles d’énergie à travers ces festivités. Parce que, j’insiste, Mélanie a le cœur à la fête. Et sa gang la suit là-dedans. Ainsi naissent les beaux dimanches. Chaque semaine, Mélanie et ses filles soupent chez des amis. Plus ça va, plus la bande grossit. Ses enfants s’enracinent dans d’autres familles ; pour leur mère, c’est la preuve qu’elles seront entre de bonnes mains.

« Je peux vraiment partir tranquille. »

PHOTO FRANÇOIS LEMIEUX, FOURNIE PAR MÉLANIE LACHANCE

Mélanie avec sa fille Maya, à gauche, et sa cousine Jannie Devin, à droite, à Osheaga en août dernier

Ce qui m’émeut particulièrement, c’est la manière dont Mélanie prépare sa sortie de scène.

Elle remplit présentement un sac à dos pour chacune de ses filles. Elle y glisse des objets significatifs qu’Elsy et Maya découvriront, le bon moment venu.

L’aînée a déjà dit qu’elle souhaitait y trouver un cahier dans lequel seraient consignées les recettes inventées par sa mère et les réponses à toutes les questions qu’elle pourrait éventuellement vouloir lui poser, au fil d’une vie.

Mélanie y travaille.

Notre relation s’est justement développée quand elle m’a demandé si j’accepterais de dédicacer un exemplaire de mon livre Ton absence m’appartient à ses filles, pour qu’elle puisse l’ajouter à leur sac à dos respectif. Comme il traite du deuil et de son impact sur notre identité, elle estimait que ça pourrait leur donner un coup de main. J’ai été éblouie par ce que cette mère faisait pour aider ses enfants à lui survivre. Dans une culture qui craint et cache la mort, elle osait prendre le taureau par les cornes et laisser des outils à ses proches. Une leçon de legs.

Pour sa fête de 42 ans, en novembre, Mélanie a acheté 90 billets pour un spectacle de Fanny Bloom, dont la musique l’accompagne depuis longtemps dans les moments les plus durs. Ce n’était pas sa fête, mais « la fête », dit Mélanie. Elle a d’ailleurs offert des cadeaux à ses invités. Parmi eux, des mouchoirs réutilisables.

PHOTO FOURNIE PAR MÉLANIE LACHANCE

Elsy, une des filles de Mélanie, la chanteuse Fanny Bloom et Mélanie Lachance dans la loge du Beat et Betteraves à Frelighsburg, le 3 novembre dernier, pour sa dernière fête

« C’était chargé, mais pas que de peine, m’a écrit Fanny Bloom. J’ai senti beaucoup plus de reconnaissance, les gens se savaient chanceux de vivre ce moment. On pouvait presque toucher à ce sentiment tellement c’était fort. […] Mélanie et moi, on se parle beaucoup depuis quelques années. Elle a vraiment changé ma vision de la vie, mais surtout de la mort, pour le mieux. Gros cadeau. »

Ce soir-là, quand Fanny Bloom a chanté Te quitter, de Daniel Bélanger, Mélanie et François ont connu l’instant le plus intense de leur union.

« La barre est haute pour la prochaine », qu’il a glissé.

Mélanie Lachance passera les Fêtes auprès de ses filles, récemment revenues vivre à la maison à temps plein. Les semaines où elles auraient normalement été chez leur père, celui-ci cuisinera pour toute la famille. « Je veux que mes enfants voient qu’il n’y a pas d’amertume entre nous, m’explique Mélanie. Je me sens bien de boucler la boucle pour le dernier Noël. »

PHOTO DANICA LYNN, FOURNIE PAR MÉLANIE LACHANCE

En route vers Osheaga, le 6 août dernier.

Elle aimerait recevoir l’aide médicale à mourir le 13 janvier prochain, au son des chansons marquantes de son année, entourée de celles et celui qu’elle aime. Par contre, de récentes complications pourraient l’inciter à revoir son plan. S’il faut partir plus tôt, elle le fera.

Une amie lui a récemment dit : « Je n’ai jamais côtoyé quelqu’un qui était en train d’apprendre à mourir. » Mélanie lui a répondu qu’en fait, elle apprenait à vivre.

« J’ai essayé de voir tout ce que j’avais plutôt que tout ce que je n’aurai pas. Je ne me suis jamais sentie aussi heureuse que maintenant. Parfois, je dis : “Je fais juste vivre, ça n’a rien d’extraordinaire !”, mais mon chum me répète que je le fais mieux que bien des gens. Avec lucidité… Et en tentant de préparer mon monde à accepter que la vie de n’importe qui a une fin. L’important, c’est comment on la vit, avant que tout s’arrête. »