La mi-trentaine est atteinte depuis quelques jours. Ça y est, je suis maintenant sur la pente descendante, disent certaines personnes pour me taquiner.

La blague me fait sourire, mais elle a un fond de vérité. Je ne suis plus une « jeune femme », une nymphette, une catégorie de pornographie… Vraiment pas fâchée de me débarrasser de cette aura imposée à la jeunesse, cela dit. Je me sens prête à embrasser d’autres rôles culturels prescrits à mon genre, merci.

Ce ne sera probablement pas celui de mère, alors à moi de décider. Je pense travailler sur celui de « matante cool » et éventuellement prendre un virage vers la sorcière-grano. Oh, et je me prévois une crise d’adolescence pour la soixantaine. De petits délits sans victimes, des fêtes, des nuits… Je me donne aussi le droit de jeter tout ça aux poubelles. On verra bien. Le fait est que je rêve à ce qui s’en vient.

C’est maintenant possible.

J’ai grandi dans un monde qui occultait les femmes avec des pattes d’oie. Il (on) le fait toujours, mais je les vois prendre davantage l’avant-scène avec fougue et joie. Pour tout vous dire, ces temps-ci, je rêve à ma suite en regardant des femmes danser.

Vous avez peut-être vu, comme moi, une vidéo virale qui montre onze aînées imitant la chorégraphie de Rihanna et de ses danseurs à la mi-temps du Super Bowl ? Ces résidantes d’un foyer du Kentucky jouent, s’amusent et se font même sensuelles. Leur plaisir a conquis les internautes, peut-être parce qu’il a à la fois quelque chose d’innocent et de subversif. On a encore le droit de se dandiner quand on utilise une marchette ? Eh ben⁠1 !

Il y a aussi les pas de l’actrice Cate Blanchett qui me ravissent. Dans le nouveau vidéoclip du groupe Sparks, pour la chanson The Girl Is Crying in Her Latte, on la voit danser follement, sans retenue ni désir évident de séduction. Elle se laisse simplement aller. Pourtant, ce n’était pas le plan. En entrevue avec le magazine W, les membres du groupe ont avoué qu’ils se seraient contentés que la comédienne soit juste là, immobile2. C’est elle qui a décidé de danser ! On est ici témoin d’un plaisir choisi, d’un déchaînement assumé. Quel bonheur.

Plus près de nous, Margie Gillis, 69 ans, a présenté tout récemment son solo Old. À ce sujet, ce pilier de la danse moderne au pays disait au journaliste Luc Boulanger : « Il faut voir la vieillesse comme quelque chose de beau, de naturel, puis l’accueillir à bras ouverts, au lieu de la rejeter avec des moyens artificiels3. »

Ça vient toucher une corde sensible chez moi, les « moyens artificiels »…

J’ignore si c’est ce à quoi Margie Gillis faisait référence, mais j’évolue dans un milieu où Botox, agents de comblement et autres légères altérations physiques sont de l’ordre du commun. Et je sais que ce n’est pas seulement le cas dans l’industrie de la télévision ! Ces options sont aujourd’hui populaires dans plus d’un milieu et pour plus d’une génération… On voit une nouvelle norme se dessiner.

Avant que vous ne me garrochiez des roches, je le précise tout de suite : je crois fermement que chacun fait bien ce qu’il veut de son corps. Ça ne nous regarde pas.

Or, j’ai l’impression que ce principe fondamental ne devrait pas nous empêcher de nous questionner sur ce qui sous-tend la popularité de ces soins esthétiques.

Pour qui ou pour quoi est-on si nombreuses à souhaiter avoir l’air plus jeunes ? Et si on cache collectivement notre âge, qu’est-ce qu’on entraîne comme effets chez les autres ? Chez celles qui l’affichent pour des raisons économiques ou morales, qu’importe…

J’y pense beaucoup, à tout ça. Si je faisais un jour quelque chose pour contrer mes rides, est-ce que je serais l’unique responsable de ce choix ? Et serais-je la seule sur qui il aurait un impact ?

C’est un terrain miné. C’est, surtout, un enjeu qui n’est pas strictement individuel. Je ne voudrais faire porter le poids de l’âgisme à aucune femme.

Au contraire, je pense que certaines d’entre nous optent pour la jeunesse artificielle pour fuir ce que la société nous impose et c’est un choix tout à fait valide… Parmi une panoplie de choix valides !

C’est juste que, quelque part dans mon cœur de 35 ans, il y a l’envie de voir si c’est possible de vieillir sans atténuer le temps qui passera sur mon visage, mon cou, mes seins, mes mains. La tentation sera là et j’y succomberai peut-être bien… Ou alors j’aurai un jour le désir intime de me présenter autrement. Mais ces temps-ci, je m’endors en m’imaginant danser avec mes rides, mes résistances, mes plaies et mes joies.

Avec ma liberté, surtout. Qu’importe les choix que je ferai d’ici là.

Il y a ces phrases de Marie-Pierre Duval, tirées de son roman Au pays du désespoir tranquille, qui me reviennent souvent en tête : « Je rêve de me déshabiller. D’enlever une à une mes domestications. » Et je célèbre la diversité des modèles qui s’élèvent, en ce moment, pour me guider là-dedans.

1. Consultez le compte TikTok de la résidence Arcadia au Kentucky 2. Lisez l’entrevue du groupe Sparks dans le magazine W (en anglais) 3. Lisez l’article « Amoureuse de la vie »