La « technoférence », c’est le terme qu’utilisent les chercheurs pour désigner les interruptions, souvent brèves, des écrans dans le temps passé en famille ou en couple. Une réalité devenue courante qui semble influencer les pratiques parentales et pourrait avoir un impact sur le développement de l’enfant, selon une synthèse des connaissances publiée par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).

Dans un parc, des parents balaient l’écran de leur téléphone intelligent pendant que leurs enfants grimpent dans les modules de jeu, jouent au ballon ou mijotent on ne sait quoi, cachés derrière la butte. La scène n’a rien d’exceptionnel. Les technologies mobiles font partie de la vie de la plupart des parents, si bien qu’elles pourraient avoir un effet sur leur rôle parental, note cette synthèse réalisée par une équipe de recherche de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), dans le cadre de la Stratégie québécoise sur l’utilisation des écrans et la santé des jeunes 2022-20251.

Basée sur la recension de 15 études publiées entre 2015 et 2021 et portant sur l’usage des écrans chez les parents d’enfants de 0 à 6 ans, la recherche montre que les parents font un usage important des écrans en présence de leurs jeunes enfants.

« Ils le font dans des lieux très diversifiés, au quotidien, à la maison, pendant l’allaitement, dans les parcs, dans les lieux de restauration rapide, dans les salles d’attente », observe Andréane Melançon, conseillère scientifique spécialisée en développement de l’enfant à l’INSPQ et coauteure de l’étude.

Les parents participant aux études compilées ont ainsi rapporté utiliser les technologies mobiles l’équivalent de 14 % à 23 % du temps d’éveil de leur enfant. Ces études ont toutes été réalisées à l’extérieur du Canada, mais dans des pays où l’utilisation des écrans est similaire, précise Mme Melançon.

« On sait qu’à la petite enfance, surtout de 0 à 5 ans, les parents, la famille, représentent le milieu de vie principal, donc le milieu principal d’influence pour les enfants », poursuit-elle.

Et on sait que les pratiques parentales, c’est-à-dire la façon dont le parent va se comporter avec son enfant, peuvent avoir des effets directs sur le développement de l’enfant.

Andréane Melançon, conseillère scientifique spécialisée en développement de l’enfant à l’INSPQ

Ainsi, selon les études observées, avoir le regard plongé dans l’écran de son téléphone intelligent peut rendre le parent moins vigilant, moins sensible ou réactif aux besoins de l’enfant et moins présent dans les situations d’apprentissage.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

De 68 % à 100 % des mères ayant pris part aux études sélectionnées disent utiliser leur téléphone intelligent durant l’allaitement.

Sur un écran en allaitant

Les études montrent également que les écrans sont partie prenante des séances d’allaitement. De 68 % à 100 % des mères ayant pris part aux études sélectionnées disent utiliser leur téléphone intelligent durant l’allaitement, et celles qui l’utilisent le font en moyenne pendant la moitié du temps. Les mères pourraient alors être moins attentives aux signaux de leur bébé.

Or, l’usage du téléphone lors de ces moments peut aussi permettre aux mères d’accomplir d’autres tâches, de se sentir productives ou de briser l’isolement social qui peut être induit par la maternité. « Certaines mères disent : “C’est long, je me sens isolée, j’ai besoin de garder le contact, c’est difficile physiquement, ça fait mal, j’ai besoin de penser à d’autres choses.” Il faut le prendre en compte, pour que les intervenants qui ont des contacts avec les familles puissent aussi répondre à ces besoins des mères », nuance Andréane Melançon.

Des effets concrets ?

Quels sont, concrètement, les effets que l’usage des écrans par les parents peut avoir sur l’enfant ? Ce n’était pas l’objet de cette recherche qui visait plutôt à évaluer l’utilisation des technologies mobiles. Cependant, certaines études consultées apportent un éclairage sur les impacts possibles.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, ARCHIVES LA PRESSE

Parfois, les parents d’enfants qui jouent au parc ne sont pas attentifs, ce qui peut mener à de fâcheuses situations.

« D’abord, il y a l’aspect de la santé et de la sécurité, souligne Mme Melançon. Lorsque le parent est sur son téléphone, il pourrait y avoir plus d’occasions où l’enfant pourrait se blesser [au terrain de jeu notamment]. Il y a ensuite le lien d’attachement que l’enfant va développer avec son parent, un lien qui se développe dans les deux premières années de vie, lorsque le parent réagit de façon adéquate et rapide. Ça aussi, on a vu que c’était touché, alors on se demande : est-ce que l’attachement des enfants pourrait être diminué par l’utilisation parentale des technologies mobiles ? »

Finalement, il y a une étude qui a observé chez certains enfants un niveau de vocabulaire plus bas que chez les enfants dont les parents utilisent moins de technologies mobiles.

Andréane Melançon, conseillère scientifique spécialisée en développement de l’enfant à l’INSPQ

Ces études ne permettent toutefois pas d’établir de lien de causalité clair entre les technologies mobiles et ces effets observés sur le développement de l’enfant. De plus, aucune étude longitudinale n’a évalué la durée de ces effets dans le temps.

« C’est un champ qui est émergent, mais les études commencent à sortir. On s’attend à pouvoir poursuivre nos questionnements dans les prochaines années », déclare Mme Melançon.

Au terme de cette recherche, l’INSPQ ne fait pas de recommandations précises quant à l’usage des écrans. « On ne veut pas bannir l’usage des écrans, affirme la coauteure de l’étude. Ils sont utiles et incontournables. On veut que tout le monde soit informé et travaille ensemble, par exemple, les milieux de vie des familles et le milieu du travail qui pourrait favoriser une meilleure conciliation travail-famille. C’est important qu’on perçoive cela comme étant une responsabilité partagée. »

1. Consultez le site de l’INSPQ