Martin McNicoll est devenu un enfant de la DPJ à 13 ans, lorsqu’il a été placé dans une famille d’accueil à la suite du divorce de ses parents. Ce sera la première d’une enfilade de quatre foyers différents jusqu’à ses 17 ans, lorsqu’il peut emménager dans un appartement supervisé. Il a connu la stigmatisation de l’abandon, il aurait pu ne jamais s’en sortir, il est pourtant devenu un entrepreneur à succès qui veut que l’on encadre mieux les enfants délaissés du Québec.

À 55 ans, Martin McNicoll affiche une assurance bien assumée. Il a vendu à fort prix l’an dernier l’entreprise Gurus Solutions qu’il a fondée en 2005 et qui est spécialisée en implantation de systèmes et de solutions infonuagiques.

« J’ai fait un DEC en électronique avant d’obtenir mon diplôme d’ingénieur en automatisation à l’ETS. Dès que j’ai terminé mes études, j’ai été embauché comme programmeur par Accenture pour faire des implantations de systèmes partout dans le monde.

« Je suis devenu manager en architecture technologique, puis je suis revenu à Montréal pour travailler trois ans chez CGI avant de lancer mon entreprise. On est devenus partenaires de NetSuite qui est devenue Oracle », raconte l’entrepreneur.

Gurus Solutions s’est vite développée auprès de clients américains qui appréciaient sa rapidité d’exécution. L’entreprise qui employait plus de 100 personnes – programmeurs, analystes d’affaires, gestionnaires de projets – était très profitable lorsque la société française Alan Allman Associates l’a sondée l’an dernier.

Je ne voulais pas vendre, ils sont revenus et j’ai encore refusé. Ils m’ont alors demandé combien je voudrais, je leur ai dit un chiffre et ils ont accepté. Je reste comme président pour quelques années pour assurer la transition.

Martin McNicoll

Le fondateur de Gurus avait déjà pris un peu de distance puisqu’il avait nommé un chef de la direction pour se consacrer à sa nouvelle passion, la fabrication de whisky.

Il a fondé la Distillerie des Cantons de l’Est. Il a acheté une terre de 70 hectares près de Mansonville pour commencer cette année la culture du seigle et de l’orge. Il entreprend prochainement la construction de la distillerie et de deux silos tout en faisant l’acquisition de tracteurs, d’une moissonneuse-batteuse, de cuves et d’alambics.

« C’est un projet de 10 millions. On va faire le meilleur whisky au monde. On va planter cette semaine des pruniers pour éventuellement faire des liqueurs. On va aussi planter des chênes pour pouvoir faire dans 50 ans nos propres barils », planifie-t-il.

La Fondation des jeunes de la DPJ

Martin McNicoll s’estime chanceux. S’il a réussi à passer à travers une jeunesse difficile, c’est parce qu’il était bon à l’école et qu’il a appris la discipline chez les cadets et dans l’armée à titre de réserviste pour le Royal 22e Régiment.

« Quand je me suis retrouvé à 13 ans en famille d’accueil, j’étais dans les cadets et j’y suis resté. Ça m’a donné un encadrement. Après, j’ai suivi le cours d’officier de l’armée. J’étudiais et je travaillais pour l’armée durant l’été.

« J’aurais pu sortir du circuit comme beaucoup d’enfants de la DPJ. C’est difficile de te grounder quand tu n’as pas de réseau social. Les familles d’accueil, c’est souvent transactionnel. Tu n’as rien sauf ta valise en dessous de ton lit », évoque-t-il.

C’est ce qui a amené l’entrepreneur à s’impliquer auprès de la Fondation des jeunes de la DPJ en rejoignant il y a quatre ans son conseil d’administration et en réalisant il y a deux semaines un don de 100 000 $.

Il s’agit du plus gros don individuel jamais fait depuis la création de la Fondation en 1998.

Le sujet a encore fait les manchettes récemment. Le tiers des enfants de la DPJ qui quittent leur famille d’accueil ou un centre jeunesse à l’âge de 18 ans vont vivre un épisode d’itinérance.

« Chaque année, il y a plus de 2000 enfants qui vivent cette étape de transition au Québec, c’est donc plus de 600 jeunes de 18 ans qui se retrouvent à la rue », souligne Marie-Hélène Vendette, directrice du développement philanthropique à la Fondation des jeunes de la DPJ.

L’organisme vient en aide à ces jeunes pour des besoins ponctuels, tel que de leur assurer un mentorat, payer un cours d’appoint, les aider à emménager dans un logement. Le budget de la fondation est de 2,5 millions, mais les besoins sont beaucoup plus grands.

On vit en situation de pénurie de main-d’œuvre et on tolère que ces jeunes se retrouvent à la rue. Je souhaite que mon don serve à les soutenir dans cette transition.

Martin McNicoll

« On a donné récemment des cartes cadeaux à des jeunes qui quittaient leur famille d’accueil et ce qu’ils demandaient, ce n’étaient pas des cartes pour Apple, mais des cartes d’épicerie ou de pharmacie. Leurs besoins sont fondamentaux », constate Martin McNicoll.

Il y a en ce moment 43 000 enfants qui sont pris en charge par des familles d’accueil ou sont dans des centres et la DPJ reçoit chaque année plus de 132 000 signalements d’enfants victimes de sévices, un nombre plus grand que celui des naissances annuelles au Québec, m’explique Marie-Hélène Vendette.

« Quand je parle aux jeunes, je leur explique que ma mesure du succès, c’est lorsque je rentre à l’épicerie et que je peux remplir le panier et le payer sans que ma carte soit refusée. Encore aujourd’hui, j’ai cette peur, alors que je pourrais acheter l’épicerie en entier », image Martin McNicoll.