De son propre aveu, ce n’est pas par plaisir que Diane a « rouvert des tiroirs remplis de souvenirs douloureux » en cette Journée internationale des droits des femmes. Mais la dame a accepté de témoigner de son passé pour inviter d’autres victimes de violence conjugale à demander de l’aide et à se sortir du cercle vicieux du contrôle coercitif.

Comme de nombreuses autres femmes, il a fallu que Diane subisse une agression physique particulièrement brutale pour réaliser qu’elle vivait un contexte de violence conjugale. La dame n’avait pas reconnu les signes avant-coureurs que lui avait envoyés son conjoint depuis les deux ans qu’ils se fréquentaient.

« Au début, c’était mon prince charmant, il m’appelait sa reine, relève-t-elle. J’étais la plus belle, la meilleure. »

Or, ce qu’elle considérait comme de l’attention et de l’intérêt de la part de son prétendant s’est avéré partie de la stratégie d’un « pervers narcissique qui prend des notes sur [elle] afin de mieux [la] manipuler. » « C’était une araignée qui me préparait pour me prendre au piège dans sa toile », illustre la survivante qui, à un certain point, n’était même plus capable de lacer ses souliers sans que son conjoint ne la rabroue.

Surveillance des courriels, des appels ou des sorties, contrôle de la tenue vestimentaire, encadrement des relations avec les amis et la famille, imposition de routines ou d’un couvre-feu, inférence dans la relation parent-enfant, harcèlement, dénigrement constant : voilà quelques exemples de la manière dont le contrôle coercitif s’exerce par un partenaire violent et qui se traduit par un contrôle de nombreuses, pour ne pas dire toutes, les sphères de la vie de sa victime.

Cela constitue une forme de violence conjugale qui passe trop souvent sous le radar, aussi bien celui des proches que des victimes elles-mêmes, soutient Annick Brazeau, présidente du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale (RMFVVC).

« Ces manifestations peuvent être subtiles et n’impliquent pas toujours de violence physique », rappelle celle qui est également directrice générale de la maison d’hébergement Pour Elles des Deux Vallées.

Si des enfants complètent la famille, ils en sont eux aussi des victimes, et pas seulement s’ils sont témoins d’épisodes de contrôle. « Le conjoint peut empêcher aux enfants, ou à ses beaux-enfants, de parler ou de faire du bruit. Il peut empêcher leur mère de les consoler ou même de les allaiter. Le contrôle coercitif se manifeste quand le conjoint gère même la relation de la mère et de ses enfants », énumère Céline Rossini, qui a conçu une boîte à outils visant à faciliter la reconnaissance du contrôle coercitif à l’attention des victimes et des professionnels amenés à travailler avec cette clientèle vulnérable.

Le tout a été présenté par l’organisme mercredi dans le cadre d’une conférence de presse virtuelle.

Des outils pour informer

Au cœur de cette stratégie de sensibilisation se trouve un livret informatif intitulé « Ce n’est pas de l’amour, c’est du contrôle », qui sera distribué à plus de 5000 exemplaires à travers le réseau des maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale et d’autres ressources.

Ses conceptrices espèrent que les exemples et les définitions fournis dans l’outil permettront à des victimes de reconnaître qu’elles vivent une certaine forme de violence conjugale qui ne s’accompagne pas toujours d’agressions physiques.

« Les exemples contenus dans le livret et le témoignage qu’il contient viennent mettre des mots sur un vécu que plusieurs femmes ont du mal à décrire ou à identifier, souligne Mme Rossini. Ça leur fait prendre conscience qu’elles ne sont pas les seules à être passées par là, qu’elles ne sont pas folles et qu’elles avaient raison d’avoir peur. Ça légitime ce qu’elles ont vécu. »

D’autres livrets et des formations ont été réalisés à l’attention des policiers, des avocats et des intervenants afin que le contrôle coercitif soit mieux reconnu et considéré comme une forme de violence aux yeux de la loi, au même titre que le harcèlement et les menaces. Le Regroupement milite d’ailleurs pour que le contrôle coercitif soit criminalisé, comme c’est le cas en Australie, dans certains pays d’Europe et aux États-Unis, par exemple.

Cathy Allen, intervenante et gestionnaire de la maison d’aide et d’hébergement Alternative pour Elles, a souligné que le livret invite les victimes à documenter ce qu’elles vivent. « C’est important de garder des traces et de les laisser dans un lieu sûr, indique-t-elle. Ça peut aider les femmes à organiser leurs pensées, à voir la gradation de la violence et surtout, à les aider à raconter leur histoire lorsqu’elles seront prêtes à le faire. »

Depuis 2021, en vertu de la Loi sur le divorce, les juges en droit de la famille doivent tenir compte de l’existence d’un contexte de contrôle coercitif pour s’assurer de l’intérêt primordial de l’enfant, souligne le RMFVVC.

« On sent vraiment qu’une prise de conscience est en train de se produire. On voit des changements et des améliorations qui s’opèrent au profit des femmes », témoigne Annick Brazeau.

En 2022, les 47 organismes membres du RMFVVC ont hébergé plus de 2700 femmes et 1900 enfants. Ils ont fourni des services externes d’accompagnement à 26 000 reprises et répondu à plus de 110 000 demandes de la part de victimes, de leurs proches ou de professionnels.

L’ensemble des outils réalisés par le RMFVVC est aussi disponible en format numérique sur le site internet de l’organisme.

Cette dépêche a été rédigée avec l’aide financière de la Bourse de Meta et de La Presse Canadienne pour les nouvelles.