(New York) Phare de la presse progressiste américaine, le New York Times donne-t-il trop d’écho aux inquiétudes sur les soins et traitements pour les adolescents transgenres, nourrissant une « panique » sur le sujet ? C’est ce dont l’accusent deux collectifs, mais le journal défend fermement son « indépendance » sur un sujet politiquement sensible.

Une telle mise en cause peut surprendre pour le prestigieux quotidien, en première ligne sur la défense des droits individuels durant les années Trump et à l’origine du mouvement #metoo contre les violences sexuelles grâce à son enquête sur le producteur de cinéma Harvey Weinstein.

« Mais depuis plus d’un an, le New York Times représente autre chose : une couverture biaisée et irresponsable des personnes transgenres », assène l’organisation GLAAD qui défend les personnes LGBT+ dans les médias et qui mène la fronde avec plus d’une centaine d’autres associations.

La campagne a été lancée mi-février avec un autre collectif, à l’origine d’une autre lettre ouverte revendiquant les signatures de plus de 1000 « contributeurs » du New York Times et « plus de 34 000 employés des médias » ou lecteurs du journal.

Concrètement, ils reprochent au quotidien d’avoir multiplié les articles exagérant des craintes éthiques et médicales sur les soins et traitements reçus par les jeunes transgenres, tels que les inhibiteurs hormonaux, ou bloqueurs de puberté.  

« Parti pris »

Le journal donnerait aussi trop d’écho à l’idée selon laquelle le nombre d’adolescents manifestant une identité sexuelle différente de leur naissance – ils seraient 300 000 aux États-Unis selon une étude – proviendrait d’une tendance sociale ou d’une mode. Idem pour l’idée que certains auraient des regrets après un traitement.

« Nous visons un parti pris éditorial. Ce n’est pas nécessairement chaque article en tant que tel. Mais là où le New York Times met l’accent et les ressources, au fil du temps, il y a une accumulation de biais », explique Jo Livingstone, 35 ans, critique littéraire qui fait partie des auteurs de la lettre et utilise le pronom non genré « iel » pour se présenter.

Le journal a immédiatement « rejeté » les accusations et son directeur de la publication, Arthur Sulzberger, a défendu ses équipes lors d’un discours jeudi, en mettant en avant leur travail sur « la vague inquiétante de législations anti-trans qui progressent à travers le pays » et « la violence et la discrimination horribles auxquelles les personnes transgenres sont confrontées ».

Mais le New York Times défend aussi la mise en lumière des débats sur les traitements et soins.

« Notre devoir est d’être indépendant. Nous allons aux faits, où qu’ils mènent. Nous sommes des journalistes, pas des activistes », ont affirmé plusieurs dizaines de plumes de la rédaction, dans une lettre interne à leur syndicat, révélée par Vanity Fair.

Acteur puissant

L’initiative critiquant le New York Times vise à peser sur la ligne du journal, puissant et influent sur la scène médiatique et politique américaine, et qui flirte avec les dix millions d’abonnés à ses sites.  

Le tout dans un contexte où plusieurs États conservateurs ont adopté des lois interdisant les soins et traitements pour les adolescents transgenres. L’organisation GLAAD relève d’ailleurs que certains articles du « NYT » ont été utilisés par des élus au Texas, en Alabama ou dans l’Arkansas, pour asseoir leurs argumentaires.

« Mais cela arrive tout le temps que des gens tordent la littérature scientifique pour leur propre intérêt », juge le professeur de psychiatrie clinique à l’université de Columbia Jack Drescher, connu pour avoir bataillé contre les thérapies de conversion pour les homosexuels, et qui observe le débat en refusant de dire que « tout est noir ou blanc ».

« Les articles du New York Times cherchent à couvrir un sujet très compliqué sans se contenter d’un seul côté de l’histoire », juge-t-il.

Mais il met en garde contre la tendance à vouloir présenter comme controversés des sujets qui n’en sont plus selon lui : « Aux États-Unis, la communauté médicale est clairement du côté des soins » pour permettre aux personnes transgenres de s’épanouir.

Le problème, ajoute-t-il, c’est qu’« un sujet médical est devenu un sujet de guerre culturelle ».

De son côté, le New York Times tient à sa réputation d’espace pour le débat. Deux jours après avoir reçu les critiques, il a diffusé une tribune de son éditorialiste Pamela Paul intitulée « En défense de J. K. Rowling », un texte jugeant injuste les accusations de transphobie à l’écart de l’auteure de la saga Harry Potter.

Et le lendemain, il a publié les réactions partagées de ses lecteurs.