Le chemin emprunté ne laisse en rien présager ce qui nous attend au bout de la route, sur laquelle d’anciens champs cultivés ont fait place à des maisons nouvelles. Il faut persister, puis s’enfoncer dans les bois à pied, pour y voir poindre un site inusité dans ce contexte. L’humble et généreux tableau qui nous attend est un terreau pour la créativité.

Dans un écrin de verdure où règnent la mousse, la fougère, la pruche et quelques feuillus, la maison des Abouts se dresse comme un oiseau sur une branche, lovée avec délicatesse sur sa presqu’île cerclée par une petite rivière.

Le bâtiment, imaginé par Pierre Thibault entre 2001 et 2003, et dont la construction s’est terminée en 2005, inspire toujours la même fascination deux décennies plus tard. Longuement cogité avec les propriétaires, il a pris son temps pour naître. « C’est l’histoire d’une rencontre, souligne l’architecte. Ensemble, dans une quête, on a créé un espace. Le temps a permis d’en faire un lieu qui n’a rien de générique et qui est le reflet de ses occupants. »

Les Abouts est une pièce d’art à vivre, une sculpture habitable. Elle incarne le pouvoir qu’a l’architecture de transformer non seulement le lieu, mais aussi l’humain.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

La coquille des Abouts est essentiellement vitrée. Côté salon, les murs s’interrompent avant de rencontrer le verre pour ne rien briser de l’effet de transparence. Sur la photo, de gauche à droite, une photo de Celia Perrin Sidarous. une série de tableaux de Guy Pellerin et un tableau de Daniel Langevin au centre de la pièce.

Après une carrière dans les finances, à Montréal et à New York, c’est à Saint-Edmond-de-Grantham, patelin au cœur du Québec qui l’a vu grandir, que Michel Paradis a choisi de s’enraciner avec son conjoint, Bernard Landriault. À l’époque, l’absence de signal – pas même pour un cellulaire – marquait la coupure avec le travail et un rythme urbain. Malgré les progrès technologiques, c’est toujours ce sentiment de sérénité qui habite le lieu et crée un désir de lenteur et de contemplation.

« Il y avait l’attrait de la nature, mais aussi le besoin de murs pour exposer notre art. La maison des Abouts a été pensée comme un écrin pour nos créations », raconte Bernard Landriault.

La collection du couple comprend 200 œuvres d’artistes vivants. Cinquante de ces tableaux et sculptures sont exposés dans cet endroit, qui s’est imposé comme résidence permanente au fil du temps. Les frontières entre l’intérieur et l’extérieur s’y confondent. Celles entre les œuvres d’artistes et les tableaux d’un paysage en constante mutation, aussi : comme si cette communion entre l’art et la nature allait de soi.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Michel Paradis et Bernard Landriault, cofondateurs de la Fondation Grantham et propriétaires de la maison des Abouts

L’art est une passion développée à travers le temps. C’est une autre vie qui nous a portés.

Bernard Landriault, copropriétaire des Abouts et cofondateur de la Fondation Grantham

  • Les Abouts, telle que photographiée de nuit en 2007. Des Abouts d’origine, tout y est demeuré intouché, même la peinture des murs.

    PHOTO ALAIN LAFOREST, FOURNIE PAR PIERRE THIBAULT

    Les Abouts, telle que photographiée de nuit en 2007. Des Abouts d’origine, tout y est demeuré intouché, même la peinture des murs.

  • Rare à l’époque, le double îlot transporte le centre névralgique de la cuisine au cœur de la pièce et dégage le mur sur lequel l’œuvre est mise en valeur.

    PHOTO ALAIN LAFOREST, FOURNIE PAR PIERRE THIBAULT

    Rare à l’époque, le double îlot transporte le centre névralgique de la cuisine au cœur de la pièce et dégage le mur sur lequel l’œuvre est mise en valeur.

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L’unicité est intemporelle

« Le site était luxuriant et donnait l’impression d’un endroit tropical avec son abondance de fougères, dépeint Pierre Thibault. On y avait comme une impression de début du monde… » Pour ne rien brusquer de cet écosystème, aucune machinerie n’a été impliquée dans la construction des Abouts. Les matériaux y ont plutôt été transportés à la main pour respecter ce que la nature a mis des siècles à créer.

Depuis 2000, l’architecte a souvent travaillé cette relation entre l’architecture et le paysage. Les Abouts est toutefois parmi les premières d’une lignée de créations en transparence et celle qui a poussé le concept plus loin à une époque où elle était considérée comme avant-gardiste. Soixante-quatre fenêtres et vitres, anglées à des degrés différents, composent la coquille du bâtiment. « Utiliser une fenestration avec autant de générosité était inhabituel à l’époque. Les gens étaient perplexes quant aux qualités énergétiques de la maison, se rappelle-t-il. L’évolution des matériaux et du verre a permis cette ouverture vers l’extérieur. »

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Les Abouts en 2008

Les Abouts a connu un rayonnement international à ses débuts et a été récompensée, en 2007, du prix du public de l’Ordre des architectes du Québec. Elle a mûri, depuis. Bien sûr, son plancher de chêne et ses plafonds de bois ont adopté des reflets plus ambrés, mais elle n’a pris aucune ride en 20 ans.

Bâtie dans l’esprit du mouvement moderniste, elle s’inscrit dans son paysage comme si elle l’avait toujours habité. De cette maison, les propriétaires ne changeraient rien. L’architecte non plus. « Les matériaux évoluent, mais les grands principes d’éclairage naturel, d’orientation, d’utilisation des volumes se renouvellent avec le même langage », note-t-il.

La maison est construite en deux volumes : le premier, horizontal et vitré ; le deuxième, sur deux niveaux dont l’un qui flotte au-dessus de l’espace pour ne rien briser du mouvement.

  • L’étage supérieur est retenu uniquement par des tirants au toit.

    PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

    L’étage supérieur est retenu uniquement par des tirants au toit.

  • La rivière est visible de partout de l’intérieur. La maison semble être en suspension au-dessus de ce serpentin d’eau.

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    La rivière est visible de partout de l’intérieur. La maison semble être en suspension au-dessus de ce serpentin d’eau.

  • Une cinquantaine de tableaux cohabitent dans la maison et côtoient la nature sans jamais que les uns concurrencent l’autre. Sur la  photo, à gauche, une série de photos de Pascal Grandmaison et une sculpture de Yoshihiro Suda au-dessus de la cheminée.

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Une cinquantaine de tableaux cohabitent dans la maison et côtoient la nature sans jamais que les uns concurrencent l’autre. Sur la photo, à gauche, une série de photos de Pascal Grandmaison et une sculpture de Yoshihiro Suda au-dessus de la cheminée.

  • Chaque facette de la maison met l’occupant en relation avec un point de vue différent sur le site : la pruche d’un côté et les feuillus de l’autre. Sur la photo, de gauche à droite, une sculpture de Pierre Ayot, une sculpture de Pascal Grandmaison et une partie d’un tableau de Jérôme Bouchard.

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Chaque facette de la maison met l’occupant en relation avec un point de vue différent sur le site : la pruche d’un côté et les feuillus de l’autre. Sur la photo, de gauche à droite, une sculpture de Pierre Ayot, une sculpture de Pascal Grandmaison et une partie d’un tableau de Jérôme Bouchard.

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À l’intérieur, aucun mur, aucune porte, ne crée de lisière opaque. Le mouvement se poursuit au-dessus des cloisons ou par les côtés : une fluidité qui influe sur la lumière et qui se ressent en pénétrant dans les lieux qui embrassent le paysage par toutes leurs facettes.

« Ici, on est toujours dans des dispositions optimales pour profiter de l’environnement et laisser libre cours aux pensées qui nous habitent », observe Bernard Landriault en ajoutant que cette demeure a changé leur vie. Le couple y continue sa « deuxième vie » et une seconde carrière dans les arts. « Ici, on vit dans la nature comme dans l’art. » Et cette passion se poursuit aujourd’hui dans un autre vecteur : la fondation Grantham.