Sur 55 acres de terrain essentiellement occupés par une réserve naturelle, les siamoises d’Élise et Jack s’entourent d’un ancien verger, d’un grand étang et d’un ruisseau. Enfouies dans cet écrin foisonnant, elles se révèlent aux intimes et aux chanceux. Elles dévoilent alors une architecture modeste qui s’inspire des bâtiments agricoles du coin et une silhouette bicéphale créée sur mesure pour les besoins atypiques de ses occupants : vivre ensemble… chacun chez soi.
C’est autour d’un rêve de campagne que les univers d’Élise Guillemette et de Jack Jacob se sont ralliés. Il a fallu deux mots – « pourquoi pas ! » – alimentés par un fort désir de changer de vie pour qu’ils vendent leurs appartements respectifs en ville, provoquent un virage professionnel et fassent le saut à temps plein dans les Cantons-de-l’Est. Lui espérait dénicher un grand terrain boisé ; elle avait soif de silence. Au bout d’un an de recherches, ils ont fait cette trouvaille quasi parfaite.
C’était une de ces journées d’hiver où les oiseaux s’égosillent sous un soleil éclatant. Sur le terrain, propriété d’une écologiste non interventionniste, la nature avait pris le dessus et laissait soupçonner une riche biodiversité. « Il y avait quelque chose de sauvage. On avait l’impression de sentir la présence des animaux et on était déjà bien, décrit Élise. Quand on est entrés dans la maison, ç’a été un coup de foudre instantané. »
Modeste dans ses dimensions et son décor, l’endroit avait en revanche un cachet certain : de grandes poutres au plafond, des murs garnis de lambris naturel, une abondance de lumière grâce à une orientation bien ciblée. À l’extérieur, un revêtement en bois bûché à même le terrain suscitait le respect. Ces atouts ont dicté le reste du projet.
Élise a habité longtemps seule. Moi, je vivais avec mon fils. On savait qu’on voulait chacun notre chambre et notre bureau. De là l’idée de dupliquer la structure pour que chacun puisse avoir ses propres appartements, tout en partageant les espaces communs.
Jack Jacob, copropriétaire
Une maison, deux pignons
Au bâtiment existant, entièrement rénové en conservant l’essentiel de sa configuration et ses éléments clés, un autre s’est ajouté dans les mêmes dimensions et crée un effet miroir. Entre les deux, une passerelle vitrée de part et d’autre assure la liaison. Cette illusion est signée par l’Atelier 3/4 fort et son fondateur, Francis Rollin.
« C’est une stratégie qu’on a déjà vue chez d’autres concepteurs, mais plutôt que de faire une translation, on a décalé les bâtiments », explique ce dernier. Ce geste a permis d’intégrer une grande terrasse qui fait le pont avec le terrain et de préserver un mélèze qui est mis en valeur dans la fenestration. Les ouvertures cadrent d’autres points d’intérêt de façon stratégique, comme les courbes du mont Sutton, majestueux vu de la cuisine, et des arbres centenaires.
Ce qui me plaît dans ce projet, c’est son échelle. On n’est pas dans le superlatif, dans des pieds carrés inutiles où l’on se perd. Chaque espace est optimisé.
Francis Rollin, concepteur d’habitation et d’objets architecturaux
La maison originale, intime avec ses plafonds bas et sa superficie de 24 pi x 24 pi, accueille désormais la cuisine et la salle à manger au rez-de-chaussée, ainsi que les appartements d’Élise à l’étage. La nouvelle construction, qui adopte la même empreinte, épouse quant à elle la topographie en pente du terrain et se déploie sous un plafond cathédrale. Elle héberge la salle familiale ainsi que les quartiers de Jack et de son fils de 12 ans, Marius, présent une semaine sur deux. La configuration des lieux permet d’être ensemble ou de se retirer au besoin.
« Le fait de descendre au salon crée une coupure propice à la relaxation et une sensation de liberté », souligne Francis Rollin, qui reconnaît s’être éclaté davantage dans cette partie qui intègre des éléments plus modernes et des objets architecturaux. Malgré des caractères différents, les deux structures répondent joliment l’une à l’autre dans un tout qui marie l’ancien et le contemporain.
Unir deux univers
« C’était la première fois qu’un couple nous demandait deux espaces séparés. C’est super intéressant comme contrainte. Alors qu’on assiste souvent à des frictions autour de l’aménagement, il y avait une bonne entente dans ce projet, constate le concepteur. Chacun a fait ses propres demandes pour ses quartiers. »
Il allait de soi que l’ancienne partie, avec son cachet d’époque, allait accueillir les appartements d’Élise qui possède plusieurs antiquités, tandis que Jack a une affection pour le Mid-century. Alors que l’une aime que tout soit rangé, l’autre vit bien dans un certain chaos.
Avec nos caractères et nos façons de vivre, cette configuration était un investissement dans la santé de notre couple. Cette maison est source d’harmonie et c’est sa configuration qui le permet.
Élise Guillemette, copropriétaire
À la fonte des neiges, le terrain a révélé une prairie en friche où poussent des talles de fleurs et d’asclépiades. Progressivement, les anciens citadins plantent des arbres fruitiers et restaurent le vieux verger, tout en cherchant à minimiser leur empreinte comme le souhaitait l’ancienne propriétaire. « Jamais – pas même une seconde – on a regretté ce choix de vie », insiste Jack, qui se décrit maintenant avec humour comme étant sommelier-bûcheron. Son premier achat a été une scie mécanique, suivie d’un tracteur.
Quant à Élise, elle ouvre maintenant toutes grandes ses fenêtres. « En ville, le bruit faisait en sorte qu’elles restaient fermées à l’année longue. À la campagne, c’est le vent dans les arbres qu’on entend. Depuis qu’on est ici, on se couche très, très tôt. Il n’y a pas de rideaux dans la maison. On suit le soleil ! On est arrivés dans un état de fatigue avancée et, après trois ans, on sent qu’on récupère enfin. J’ai arrêté la course à pied. Je marche. »