On entre dans la Cadrée Perchée comme dans un cube de verre, avec l’étonnement d’y trouver une nature à 360 degrés à peine voilée par des parois en transparence. Dans une habile illusion qui brouille les frontières entre l’intérieur et quelques parcelles de Morin-Heights, un paysage ondulant s’offre avec sa magnificence et ses aspérités. Devant tel décor, son concepteur n’a pas cherché à rivaliser et c’est avec sagesse qu’il honore un tableau plus grand.
C’est sur un promontoire que s’est faufilé ce bâtiment qui scrute furtivement son paysage laurentien avec un regard voyeur que rien ne vient obstruer, pas même un rideau. D’un côté, des montagnes, une forêt, un lac et une rivière en contrebas ; de l’autre, un pan de rocher qui exprime ce que la nature a de brut et de merveilleusement sculpté. On vit ici dans un panorama qu’aucun objet ne peut accoter, au rythme des saisons et de la trajectoire du soleil.
De l’extérieur, on dirait d’elle qu’elle est exhibitionniste. Si ce n’était son écrin de verdure, elle s’offrirait en effet à la vue des passants comme à des rayons X : de bord en bord avec très peu, entre les deux, pour distraire les yeux de l’essentiel. Mais la Cadrée est une cédille dans un palindrome verdoyant. Elle a beau être perchée, elle ne contemple jamais son environnement du haut de ses talons.
L’humilité est l’approche délicate que préconise le fondateur de L’Empreinte, Pier-Olivier Lepage, aussi propriétaire de cette maison qui fait office de lieu de travail.
Comme créateur, ma principale valeur est de rendre hommage à la nature. Aucun espace n’a été laissé sans lumière. Partout, les axes visuels créent ce rapport à l’environnement.
Pier-Olivier Lepage, fondateur de L’Empreinte et propriétaire de la Cadrée Perchée
De ce refuge, pris sous l’angle du minimalisme, le concepteur en architecture a fait un lieu de luminothérapie. Plus de la moitié de l’enceinte est composée de verre et met en valeur des couchers et levers du soleil visibles de part et d’autre du bâtiment.
Vivre en plein air
La Cadrée Perchée s’inspire du principe d’un radiateur afin d’accueillir un maximum de lumière. En jouant avec une géométrie en U et des murets en bois à l’extérieur, la structure capte les rayons du soleil et les réfléchit vers l’intérieur, sans toutefois surchauffer. Ce stratagème est l’une des raisons qui ont fait de la Cadrée Perchée une création primée au Grand prix international d’architecture.
Par temps chaud, la structure privilégie une ventilation naturelle et tempère le soleil, ce qui accentue l’impression de vivre en plein air.
En été, je veux pouvoir ouvrir tout grand mes fenêtres et sentir le vent, entendre le froissement des feuilles, la pluie, les oiseaux.
Pier-Olivier Lepage, concepteur de la Cadrée Perchée
Par temps froid, le plancher de béton, blanchi pour accentuer l’effet de lumière, emmagasine la chaleur d’une lumière matinale qui entre de plein fouet.
Témoin d’un spectacle en nature
La chambre principale se remplit de lumière dès l’aurore. Lorsque la forêt exhale son surplus d’humidité, les matins de brume sont une scène qui incite à la rêverie et créent l’impression de flotter au-dessus des nuages. Ce paysage inspirant est un cadre idyllique pour créer. La pièce, comme un petit loft, accueille un bureau en plus d’un bain « pour diminuer le budget au pied carré et minimiser l’entretien, explique Pier-Olivier Lepage. Si on a besoin de se détendre en appréciant la vue, c’est ici que ça se passe. » Située à l’autre extrémité du rectangle de verre, la salle de bain (sans baignoire) comprend une douche et ce qu’il y a de fonctionnel.
Entre ces deux pôles se déploie l’aire de vie sous un plafond de 10 pieds. Le salon est englouti par le sol et s’encastre à la façon d’un kotatsu japonais pour ne pas bloquer la vue. Des coussins sont déposés directement sur la dalle chauffante, modulée à cet endroit pour former une assise confortable d’où contempler le foyer à hauteur des yeux. Seuls des luminaires discrets pendent au-dessus de ce bloc de détente comme des pendants d’oreille.
Construire son refuge
Le propriétaire a lui-même bâti la maison et tout ce qu’elle comprend de meubles en y consacrant plus d’un an, dont quatre mois à temps plein pour édifier la structure. Son projet révèle un savoir-faire et de belles astuces qui ont permis de diminuer les coûts, notamment l’utilisation de bois de construction au plafond et de planches de bois traité comme revêtement extérieur. Cette finition donne un côté rustique et chaleureux à un décor qui maximise chaque pied carré sans gourmandise.
Malgré sa facture contemporaine, la maison n’a pas la froideur qu’on reproche parfois aux environnements minimalistes. Le jour, elle est lumineuse. Le soir, ses murs de verre évitent le piège de se transformer en trous noirs grâce à un éclairage extérieur bien pensé. Ainsi, ce qui pourrait devenir hostile devient un jeu de miroitements. « Quand le reflet de ce qui est à l’intérieur de la maison se superpose aux éléments extérieurs, ça crée une ambiance enveloppante et vraiment particulière », décrit l’homme des bois, fier de ce domaine qu’il occupe depuis maintenant trois ans. On quittera la Cadrée en comprenant pourquoi, en regrettant tout de même un peu de ne pouvoir être aux premières loges pour assister à ce théâtre nocturne.
Rectificatif :
Dans une précédente version du texte, Pier-Olivier Champagne était présenté en tant qu’architecte. Or, M. Champagne est plutôt concepteur en architecture et ne détient pas officiellement le titre d’architecte, ce dernier étant réservé aux membres de l’Ordre des architectes du Québec (OAQ).