Trois ans après l’adoption d’un règlement visant la protection des maisons de type shoebox, les projets d’agrandissement poussent dans Rosemont–La Petite-Patrie. Le plus souvent en hauteur, à l’image de cette transformation où la construction modulaire a été mise à profit.

Geneviève Tousignant et Philippe Beauchamp ont acquis en 2014 cette jolie shoebox centenaire, située au cœur de Rosemont, à deux pas du parc Molson et de l’animée rue Beaubien. Ayant fait leur apparition à Montréal au début du XXsiècle, ces maisons unifamiliales destinées aux ouvriers se sont multipliées jusque dans les années 1960. Comme plusieurs familles habitant ces petites maisons d’un étage, Geneviève Tousignant et Philippe Beauchamp, parents de deux enfants, caressaient le rêve d’agrandir leur demeure.

« C’était clair en arrivant que ça allait être serré, quatre personnes dans 800 pieds carrés, indique Philippe Beauchamp. C’était petit. On adorait le quartier, la ruelle pleine d’enfants. On voulait rester dans le coin. »

« Quand le moratoire est arrivé, ça nous a ébranlés parce que ça venait changer nos plans, poursuit Geneviève Tousignant. Dans notre projet, il y a eu quelques embûches. Le premier, c’est le moratoire, le deuxième, la pandémie. » (Les travaux ont commencé quelques mois après le premier confinement.)

En 2018, l’arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie a décrété un moratoire sur les projets de transformation et de démolition des maisons de type shoebox qui se multipliaient sur son territoire.

Bien que d’accord avec la nécessité de préserver ce patrimoine modeste, plusieurs propriétaires avaient manifesté leur mécontentement envers cette mesure restrictive. Agissant à titre d’une des leaders de cette opposition, Geneviève Tousignant a siégé à un comité de travail mis sur pied par l’arrondissement. Elle y a rencontré l’architecte Laurent McComber, dont la firme L. McComber – architecture vivante signe les plans de cet agrandissement, un projet qu’ils ont justement nommé « Shoe Up ! ».

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Les propriétaires, Philippe Beauchamp et Geneviève Tousignant, sont entourés des architectes Laurent McComber et Olivier Lord.

Si le moratoire a été levé l’année suivante, c’est qu’un nouveau règlement visant la protection de ces maisons a été adopté. Les 561 shoebox qui se trouvaient alors sur le territoire de l’arrondissement ont été classées selon leur valeur architecturale. Celle de Geneviève Tousignant et de Philippe Beauchamp ayant obtenu la plus haute valeur (3), les interventions possibles étaient limitées.

« Les shoebox, il y en a qu’il vaut la peine de garder, d’autres, non, pense l’architecte Laurent McComber. Ici, c’est une belle petite façade sympathique à l’échelle de la rue, dans une rue où les constructions ne sont pas très hautes. Ce n’est pas très dense pour un quartier central. »

« Je suis historien. On n’est pas contre l’idée de préserver le patrimoine modeste, renchérit Philippe Beauchamp. Mais il reste que quand tu dis à une jeune famille, finalement, vous ne pouvez peut-être pas rester là... Il fallait trouver un moyen. Finalement, on est très satisfaits. »

Un étage de plus

  • La façade de la maison avant les travaux

    PHOTO FOURNIE PAR L. MCCOMBER – ARCHITECTURE VIVANTE

    La façade de la maison avant les travaux

  • Le réaménagement de la cuisine, non fonctionnelle, était l’une des demandes des propriétaires.

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    Le réaménagement de la cuisine, non fonctionnelle, était l’une des demandes des propriétaires.

  • Le rez-de-chaussée était composé d’une grande aire ouverte, ainsi que de deux chambres fermées et d’une salle de bains.

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    Le rez-de-chaussée était composé d’une grande aire ouverte, ainsi que de deux chambres fermées et d’une salle de bains.

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L’ajout d’un nouvel étage était donc possible, mais celui-ci devait présenter un retrait minimal d’un mètre par rapport à la façade du rez-de-chaussée. « [Le règlement exige] de ne pas construire dans l’alignement et c’est tant mieux parce que ça viendrait écraser le volume, note l’architecte Laurent McComber. Mais ça implique d’avoir un petit bout de toit à drainer. »

Pour répondre à cette exigence, un drainage en façade avec une gargouille a été installé. « Ça nous a évité d’ajouter un drain intérieur, précise l’architecte. Quand tu amènes de l’eau dans la maison, tu amènes du froid et un risque d’infiltration. » Sans compter les coûts supplémentaires qu’aurait entraînés l’installation d’un drain intérieur jusqu’au sous-sol. Afin de récupérer l’espace perdu par ce retrait, l’agrandissement a été prolongé à l’arrière avec une structure en porte-à-faux. « Ça n’a pas été super compliqué pour nous, ce retrait », résume l’architecte Olivier Lord.

  • L’espace perdu en raison du retrait obligé à l’avant a été récupéré à l’arrière, dans une installation en porte-à-faux.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    L’espace perdu en raison du retrait obligé à l’avant a été récupéré à l’arrière, dans une installation en porte-à-faux.

  • La nouvelle cuisine occupe désormais l’espace qui était auparavant consacré à une chambre à coucher.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    La nouvelle cuisine occupe désormais l’espace qui était auparavant consacré à une chambre à coucher.

  • Pour minimiser la perte d’espace, l’escalier menant à l’étage a été superposé à celui menant au sous-sol.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Pour minimiser la perte d’espace, l’escalier menant à l’étage a été superposé à celui menant au sous-sol.

  • Le petit salon, au rez-de-chaussée. On retrouve une salle familiale plus vaste au sous-sol.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Le petit salon, au rez-de-chaussée. On retrouve une salle familiale plus vaste au sous-sol.

  • L’angle des contremarches a été pensé pour faciliter les déplacements du propriétaire qui a des douleurs aux genoux.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    L’angle des contremarches a été pensé pour faciliter les déplacements du propriétaire qui a des douleurs aux genoux.

  • Un puits de lumière apporte les rayons du soleil jusqu’au rez-de-chaussée.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Un puits de lumière apporte les rayons du soleil jusqu’au rez-de-chaussée.

  • Les propriétaires font chambre à part et ont chacun leur espace.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Les propriétaires font chambre à part et ont chacun leur espace.

  • Les deux chambres sont reliées par un corridor caché qui sert de penderie.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Les deux chambres sont reliées par un corridor caché qui sert de penderie.

  • La chambre de Monsieur

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    La chambre de Monsieur

  • Une chambre d’enfant

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    Une chambre d’enfant

  • La nouvelle salle de bains aménagée à l’étage

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    La nouvelle salle de bains aménagée à l’étage

  • La quatrième chambre

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    La quatrième chambre

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Un revêtement de bois, plus léger que la maçonnerie, a été privilégié et accepté par l’arrondissement. En façade, la shoebox d’origine prédomine toujours. Par souci d’harmonie visuelle, les grandes ouvertures pratiquées à l’étage sont alignées à la géométrie du couronnement et aux anciennes fenêtres à guillotine du rez-de-chaussée.

Lorsqu’il a abordé ce projet, tout juste avant la pandémie, le couple avait un budget jugé serré pour l’ampleur des travaux souhaités. Il désirait ajouter quatre chambres et une salle de bains à l’étage et rénover la cuisine au rez-de-chaussée. Des bureaux d’architectes avaient refusé le projet, jugeant le budget insuffisant. Pour certains, il était impératif de refaire le rez-de-chaussée en entier. « On a la preuve qu’il est possible de ne pas tout stripper », souligne Laurent McComber.

Des modules préfabriqués

Dans le but d’économiser, les architectes ont misé sur la construction modulaire. À leur connaissance, c’est la première fois à Montréal que cette technique était utilisée pour l’ajout d’un étage. Ainsi, trois modules de même dimension abritant les chambres et la salle de bains ont été fabriqués en usine, puis expédiés et assemblés au chantier. Chacun des modules à ossature de bois mesurant 25 pieds sur 12 pieds a été hissé par grue, un spectacle auquel de nombreux voisins ont assisté.

C’était comme de gros blocs Lego qui se faisaient livrer. Je n’avais jamais vu ça. Ça prend toute une logistique pour amener trois modules de 25 000 livres chacun. On a gardé notre sang-froid. C’était quelque chose de particulier et d’inédit.

Olivier Lord, architecte

L’opération a tout de même donné des sueurs froides aux propriétaires. Des éclairs se sont invités dans les prévisions météorologiques, forçant le report de la livraison d’environ un mois. Puisque celle-ci nécessitait de couper l’électricité dans la rue, il leur fallait obtenir l’autorisation d’Hydro-Québec, payer les frais et assumer les délais associés à cette interruption.

D’abord enthousiaste face à la réduction des coûts et des nuisances du chantier que permet la construction modulaire, Laurent McComber est aujourd’hui moins catégorique. « À l’époque, on se disait : “C’est sûr que ça va être moins cher en modulaire.” Aujourd’hui on serait un peu plus nuancés. »

L’architecte y voit toutefois d’autres avantages : « Plutôt que d’avoir les aléas du chantier avec le trafic, la congestion, l’électricien qui n’est pas là, la tempête, le gel, on est dans des conditions contrôlées en usine. Les déchets sont mieux gérés. C’est plus propre, c’est plus sec, c’est droit. »

Si le budget a pu être respecté, c’est notamment parce que la structure existante n’a pas eu à être consolidée. Elle était suffisamment solide pour accueillir le poids de l’agrandissement.

Après avoir passé les premiers mois de la pandémie à vivre, travailler et étudier dans un espace de 850 pieds carrés (en plus d’un sous-sol partiellement aménagé), les membres de la famille aiment aujourd’hui avoir chacun leur espace. « Au lieu d’être à la table de cuisine, je suis dans un bureau. On a chacun nos chambres. L’espace est plus lumineux », se réjouit Geneviève Tousignant. Et même s’ils font chambre à part, leur espace est relié par une penderie qui coupe les sons accompagnant les nuits d’insomnie sans complètement isoler les deux parties.

Consultez le site de L. McComber – architecture vivante

Le projet « Shoe Up ! » en bref

Durée du chantier : environ 6 mois

Coût des travaux : environ 300 000 $

Construction : Falcon Modular structures/Gestion Étoc et Construction Racine Carrée