C’est pour faire un peu d’argent durant un long périple autour du globe qu’Ivan Bornes a déposé son sac à dos à Barcelone au début de sa vingtaine. C’est là, chez le célèbre fabricant de tuiles artisanales Mosaics Martí, qu’il s’est arrêté pendant un an pour apprendre les rudiments de cet art ancestral. Un mariage, deux enfants et des années plus tard, sur un chemin qui l’a conduit du Brésil à la Finlande, puis au Québec, il apporte avec lui un savoir jusqu’alors inexistant chez nous.

Il faut remonter au milieu du XIXe siècle pour voir apparaître les premiers carreaux hydrauliques en Europe. Révolutionnaires pour l’époque, ils ne requièrent que trois matières premières – de l’eau, du sable et du ciment – auxquelles s’ajoutent des pigments de couleurs. Mais la magie opère véritablement lorsque ces couches d’agrégats sont compactées sous haute pression. Cette technique n’exige que peu de matériaux, mais surtout, aucune cuisson, ce qui permet d’en tirer un produit aux motifs uniques à grande échelle.

Au tournant du siècle, les tuiles de ciment connaîtront leur âge d’or avec le mouvement Art déco et le modernisme catalan. Elles font figure d’œuvres d’art dans des bijoux d’architecture comme La Pedrera, la Sagrada Familia où la Casa Batlló, trois œuvres barcelonaises signées par le monumental Antoni Gaudí.

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La cour intérieure de la Casa Batlló, à Barcelone, recouverte des tuiles hydrauliques confectionnées par Mosaics Martí.

L’industrialisation de la fabrication des céramiques durant l’après-guerre annoncera toutefois le déclin de ce produit fabriqué de mains d’artisans. Avec l’apparition de carreaux de masse à bas prix, la majorité des artisans seront contraints de jeter l’éponge.

Mosaics Martí, fondé en 1913, est de ceux qui tiennent encore bon aujourd’hui et qui ont su faire naître une passion chez un jeune apprenti en quête d’aventure.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Les carreaux de ciment sont fabriqués un à un sur commande par HydroTuiles et sont vendus 20 $ le pied carré et 2 $ par couleur supplémentaire.

La renaissance moderne d’un artisanat ancestral

Lorsqu’il arrive à Montréal en 2019, Ivan Bornes est loin de penser qu’il renouera avec le métier de sa jeunesse. Cependant, l’absence de tuiles artisanales sur le marché québécois, où seule une entreprise les importe d’Europe, est une invitation à faire revivre ce moment de vie. Il reprend contact avec son vieux maître de stage et met le cap sur Barcelone pour rafraîchir ses connaissances.

Quatre ans plus tard, après avoir importé sa machinerie et mis sur pied son atelier, il lance officiellement HydroTuiles, qui innove en combinant une technologie moderne à un artisanat ancestral. La méthode traditionnelle emploie en effet des moules de métal qui prennent des jours à fabriquer et peuvent coûter jusqu’à 1000 euros (1450 $ CAN) par motif. Grâce à l’impression 3D, Ivan Bornes arrive à créer rapidement des canevas sur mesure à moindre coût.

C’est un rare privilège d’avoir pu bénéficier de cette transmission de connaissances et d’un contexte favorable pour l’utiliser. En greffant la technologie à l’héritage, j’arrive cependant à créer un produit plus accessible.

Ivan Bornes, artisan et fondateur de l’entreprise HydroTuiles

D’ailleurs, l’échange d’informations avec ses mentors va maintenant dans les deux sens.

La fabrication d’une mosaïque hydraulique
  • Après avoir confectionné son emporte-pièce en nylon, l’artisan y dépose les couleurs.

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    Après avoir confectionné son emporte-pièce en nylon, l’artisan y dépose les couleurs.

  • Une couche de sable fin est saupoudrée en surface pour absorber les pigments.

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    Une couche de sable fin est saupoudrée en surface pour absorber les pigments.

  • L’artisan dépose la couche de béton qui compose l’essentiel de la structure de la tuile.

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    L’artisan dépose la couche de béton qui compose l’essentiel de la structure de la tuile.

  • Une fois compressée avec une pression de 150 tonnes, puis démoulée, la tuile est plongée dans l’eau pendant 24 heures.

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    Une fois compressée avec une pression de 150 tonnes, puis démoulée, la tuile est plongée dans l’eau pendant 24 heures.

  • Elle est enfin mise à sécher pendant 28 jours. Elle sera alors prête à être utilisée.

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    Elle est enfin mise à sécher pendant 28 jours. Elle sera alors prête à être utilisée.

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Le catalogue d’HydroTuiles comprend déjà plus de 100 motifs : des formes organiques, géométriques, pop, ethniques, florales ou figuratives, comme un dessin de bernache ou une feuille de lys. Mais l’un des attraits de cette technique est d’obtenir des tuiles personnalisées, fabriquées à la main et à l’unité. C’est ce que vient chercher la clientèle d’HydroTuiles, composée essentiellement de designers ou d’architectes charmés par les carreaux de ciment aperçus ailleurs dans le monde.

À cette unicité s’ajoute l’avantage d’acheter un produit durable et écologique. Aussi résistantes que le béton, les mosaïques hydrauliques résistent aux intempéries et peuvent donc être utilisées à l’extérieur sans que les pigments soient affectés par le soleil ou le temps. Et puisque les couleurs sont imprégnées profondément dans la pierre, la tuile peut être sablée et polie pour retrouver son éclat original au bout d’années d’utilisation.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE DAVID KOHN

L’appartement Carrer Avinyó, à Barcelone, situé dans un immeuble à la forme triangulaire comme le Flatiron de New York, restauré en 2013 avec des tuiles hydrauliques de Mosaics Martí par l’architecte anglais David Kohn, a remporté plusieurs prix internationaux.

Un pied de nez aux produits de masse

Depuis le début des années 2000, les tuiles hydrauliques génèrent à nouveau l’intérêt. En Europe émerge d’ailleurs une nouvelle génération d’artistes, comme ceux de César Bazaar, en France, qui la font revivre sous un angle contemporain. L’atelier Maitland & Poate, en Angleterre, redonne vie, quant à lui, à d’anciens carreaux de ciment catalans qu’il récupère sur les chantiers et restaure.

« Je me suis donné l’objectif, et même la mission de faire connaître ce produit, signale Ivan Bornes, qui rêve de voir cet art fleurir et de pouvoir former des artisans qui feront naître d’autres ateliers au Québec. Je crois vraiment qu’il y a un futur pour cet artisanat et d’autant plus avec l’apport du 3D. Les tuiles de ciment échappent à la consommation de masse et répondent à un besoin humain de sens et d’unicité. C’est rare d’avoir un produit personnalisé dans le monde de la construction. C’est un art qui touche le cœur. »

Consultez le site d’HydroTuiles