On ne peut commencer cet échange en faisant abstraction de votre costume. Racontez-nous le pourquoi !
Jean Verville : On a voulu être conséquents dans ce qu’on proclame et faire de Complètement Design un évènement qui soit complètement circulaire. Les caissons, les panneaux : tout ce qui est présenté ici sera réutilisé. […] On s’attend à ce qu’Adidas transforme les bouteilles de plastique en jacksuit. Plutôt que d’espérer que ça se fasse ailleurs, tout en se donnant bonne conscience avec de la pseudo-écoresponsabilité, pourquoi on ne réutiliserait pas nos matières et emballages localement ? C’est la raison pour laquelle on a décidé de porter nos emballages et mousses de protection aujourd’hui, comme une allégorie de cette intention.
Visions spéculatives est le thème de l’évènement. Quelle forme prend cette ligne directrice en design et en architecture ?
JV : Pour moi, l’architecture et le design spéculatifs, c’est arriver à penser autrement pour trouver des solutions. Le marché a changé, les conditions ne sont plus les mêmes. Le milieu a besoin d’un coup de pep pour envisager l’avenir sous un angle positif. Si on n’utilise pas toutes ces têtes créatives pour générer un monde meilleur, aussi bien arrêter la machine !
Et qu’émerge-t-il de cette réflexion ?
JV : Ça se situe principalement sur le plan de la réhabilitation d’objets abandonnés. Dans le laboratoire de l’École d’architecture, l’un des projets consistait à réutiliser des plateformes pétrolières abandonnées pour en faire des fermes d’aquaculture. Il y a 10 800 plateformes inutilisées dans le golfe du Mexique. C’est énorme ! Un autre de nos projets consiste à réfléchir aux façons de faire de l’habitat collectif et abordable sous les ponts. Même si ça bouscule plein de gens au passage, nous pouvons, en tant qu’architectes ou designers, utiliser notre imaginaire pour créer autre chose et nous ouvrir à d’autres façons de faire.
Le milieu du design ressent-il cette urgence de revoir les paramètres dans lesquels il a évolué ?
Sandra Heintz : Absolument. Le questionnement sur la circularité, il est à tous les niveaux et particulièrement chez les professionnels du bâti qui naviguent dans un environnement où l’empreinte carbone est importante. Que ce soit pour du slow ou du mass, l’architecte et le designer recherchent le produit qui a une conscience environnementale et qui a été réfléchi pour faire moins de dommages à la planète. Ils savent qu’ils peuvent contribuer à faire la différence et tout le monde veut bien faire, mais a-t-on les outils ? Chose certaine, il y a une prise de conscience, et c’est la raison pour laquelle il faut mettre en place cette plateforme de discussion entre les créateurs et les exposants.
Ces contraintes sont-elles des moteurs pour la créativité ?
JV : Si on travaille dans ses pantoufles, ce n’est pas stimulant. On ne peut pas se cacher la tête dans le sable en se disant que tout est beau. Il y a de moins en moins de main-d’œuvre, le consommateur a moins d’argent et il n’est pas prêt à vider sa tirelire pour endosser des trucs qui sont parfois de l’ordre du greenwashing. J’espère qu’aujourd’hui, on aura réussi à décomplexer un peu la discussion entre les créatifs et le monde du marché pour se dire les vraies affaires.
Visions spéculatives : sortir du salon
Complètement Design emprunte à la formule muséale, un cadre thématique et filtré qui cherche à se distinguer des formules dans lesquelles évoluent normalement les salons commerciaux. À travers sa thématique, Visions spéculatives, l’évènement s’interroge : comment activer l’imaginaire dans la pratique professionnelle pour mieux alimenter le milieu du design et contribuer à enrichir l’avenir de la planète ? Ce questionnement, omniprésent, est aussi présent du côté des exposants qui ont réduit le nombre d’objets ou de créations présentés pour ne garder que les plus pertinents.
« On avait très envie que les designers et les architectes s’approprient un autre rapport à un évènement commercial de type salon. Généralement, c’est l’abondance de produits. Nous, on a plutôt invité les exposants à se demander ce qu’ils pouvaient montrer avec un nombre défini de produits, en choisissant ceux qui ont une plus forte composante d’innovation et de circularité », mentionne la directrice d’Index-Design, Sandra Heintz.
Consultez le site d’Index-DesignObjets choisis
En lien avec le Guide 300, sa publication annuelle d’adresses et de références en design, Index-Design présente neuf créateurs d’ici à suivre de près. Ces derniers ont, pour l’occasion, matérialisé la thématique avec un objet de leur cru.