L’organisation Médecins sans frontières (MSF) avait tenté de tout prévoir samedi dernier afin d’évacuer de la bande de Gaza des membres de son personnel à bout de souffle ainsi que leurs proches.

Les responsables de l’opération ont communiqué avec les deux parties au conflit, le Hamas et l’armée israélienne. Les 137 personnes à évacuer ont pris place dans des véhicules arborant les logos rouge et blanc de l’organisation humanitaire.

« Le convoi a passé plusieurs postes de contrôle, mais il y avait des délais au dernier d’entre eux, alors le convoi a fait marche arrière. On leur a tiré dessus. Un membre de la famille d’un employé a été tué », m’a raconté lundi Joseph Belliveau, directeur général de MSF Canada.

L’histoire ne se termine malheureusement pas là. Les membres du convoi ont essayé de trouver refuge notamment dans une clinique mise sur pied par MSF.

Lundi, c’est cette clinique qui a été la cible des tirs. Selon les employés sur place, un mur a été abattu. Les flammes ont dévasté une autre partie de la bâtisse. Cinq des véhicules qui faisaient partie du convoi d’évacuation, stationnés tout près, ont été détruits. Quatre par les flammes. Le dernier a été écrasé par un poids lourd. Des témoins rapportent avoir vu un char d’assaut israélien dans la rue.

« Tout ça a été fait de manière délibérée », tonne Joseph Belliveau, notant que ce n’est que le dernier évènement d’une très longue liste d’attaques contre les services de santé depuis le début de la riposte israélienne contre le Hamas dans la bande de Gaza après les attentats meurtriers du 7 octobre.

En date du 20 novembre, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a documenté 164 attaques du genre contre des établissements et du personnel de santé dans l’enclave palestinienne, où 27 des 36 hôpitaux ne fonctionnent plus.

En Syrie ou au Yémen, on a vu beaucoup d’attaques sur des établissements de santé sur une longue période. Mais l’ampleur des attaques que nous voyons à Gaza en quelques semaines, c’est du jamais-vu. Et aux yeux du droit de la guerre, ce sont des crimes flagrants !

Joseph Belliveau, directeur général de Médecins sans frontières Canada

Une des dernières attaques répertoriées concerne l’hôpital indonésien du nord de Gaza, où des centaines de personnes, qui ont fui l’hôpital al-Chifa dans les derniers jours, avaient trouvé asile. Dans la nuit de dimanche à lundi, 12 personnes y ont été tuées et des dizaines d’autres blessées, rapporte l’agence onusienne dans un communiqué de presse qui suinte la colère. « Le monde ne peut pas rester silencieux pendant que ces hôpitaux, qui devraient être des refuges, sont transformés en scènes de mort, de dévastation et de désespoir », écrit l’OMS.

Qu’a répondu l’armée israélienne aux doléances de l’Organisation mondiale de la santé au sujet de l’hôpital indonésien ? Qu’elle n’a fait que répondre à des tirs qui venaient de l’intérieur.

La semaine dernière, Tsahal a justifié avoir pris le contrôle de l’hôpital al-Chifa, le plus grand de la bande de Gaza, en invitant des médias internationaux à visiter les lieux sous haute surveillance. On leur a montré des obus, des kalachnikovs et une entrée de tunnel, affirmant qu’il s’agissait de preuves que le Hamas y opère un grand centre de commandement et donc, que l’armée israélienne était dans son droit d’y intervenir. On n’a pas autorisé les journalistes à parler aux centaines de patients, de médecins et d’autres travailleurs de la santé qui étaient sur place.

L’opération de relations publiques n’a pas été jugée convaincante ni par la BBC ni par le magazine The Economist, pour ne nommer que ceux-là.

Lundi, les autorités israéliennes ont remis ça en publiant des images d’un autre tunnel ainsi qu’une vidéo montrant un otage israélien traîné par des membres du Hamas, dans ce qui est décrit comme des corridors d’al-Chifa.

Il est très difficile de vérifier ces informations.

Mais cela dit, leur véracité ou non ne change rien à une chose : le droit international protège les hôpitaux, le personnel qui s’y trouve ainsi que les patients.

Si l’hôpital perd son statut protégé parce qu’il est prouvé que des combattants l’utilisent comme base d’opérations, l’intervention armée doit être faite avec précaution et proportionnalité afin de nuire le moins possible aux personnes vulnérables, selon le Comité international de la Croix-Rouge.

Or, cette petite exception à la règle n’explique pas pourquoi le convoi de Médecins sans frontières et sa clinique ont été attaqués au cours des derniers jours. Ou pourquoi les hôpitaux et les cliniques de Gaza sont privés depuis plus d’un mois de produits de première nécessité – eau, nourriture, carburant, médicaments.

Au moment d’écrire ces lignes, on annonce qu’une trêve humanitaire de cinq jours pourrait avoir lieu bientôt, permettant le retour en Israël de plusieurs dizaines d’otages que le Hamas retient depuis plus d’un mois. Ce répit dans les combats et les bombardements faciliterait aussi l’arrivée d’aide humanitaire dans l’enclave palestinienne.

Ça ne suffit pas. Des experts du droit international doivent aussi être déployés dans la bande de Gaza pour enquêter de manière indépendante sur les allégations de crimes de guerre qui se multiplient, une demande formulée la semaine dernière par le haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Volker Türk.

Comme en Ukraine, des enquêteurs doivent pouvoir documenter les évènements des dernières semaines, interroger les témoins, documenter les violations et les abus, quels qu’en soient les auteurs.

Il est temps d’accourir au chevet du droit international, aussi mal en point que les hôpitaux de Gaza.