Depuis trois semaines, tous les jours, des gens sortent dans la rue dans la ville de Soueïda, dans le sud de la Syrie. Jour après jour, ils demandent à Bachar al-Assad de lever le camp. De laisser sa place. « On ne veut pas de toi, Bachar », crient-ils.

De l’Australie, l’écrivaine et militante féministe Rima Flihan, une enfant de Soueïda contrainte à l’exil en 2011, vit des montagnes russes d’émotions. « Tous les jours, les gens vont dans la rue pour réclamer la démocratie, la liberté. Ils se sentent libres, mais ils vivent aussi dans l’inquiétude. Ils ne savent pas comment l’État va réagir », me dit-elle au bout du fil. Pour protéger de représailles les manifestants auxquels elle parle quotidiennement, elle se fait leur porte-parole.

Ça prend un courage effarant pour manifester en Syrie ! Depuis 2011, on estime que le régime Assad a mis plus de 150 000 personnes derrière les barreaux. Femmes, hommes, enfants. Les récits de torture sont légion. On parle ici d’un régime qui terrorisait sa population avant le Printemps arabe en 2011 et qui n’a que redoublé d’ardeur après le début du soulèvement populaire à Deraa, tout près de Soueïda.

Ce soulèvement a été graduellement éclipsé par une guerre sans scrupule dans laquelle le régime de Damas – avec ses alliés russe et iranien – a fait face à des groupes armés multiples, tout en continuant de réprimer son opposition pacifique.

On estime qu’au moins 300 000 personnes ont péri en 12 ans. La moitié de la population du pays est aujourd’hui réfugiée ou déplacée à l’intérieur des frontières de la Syrie.

PHOTO FOURNIE PAR RIMA FLIHAN

L’écrivaine et militante féministe Rima Flihan est originaire de Soueïda, mais elle vit en Australie, contrainte à l’exil.

Ceux qui restent vivent dans la misère. « À Soueïda, les gens vivent avec une heure d’électricité par jour. Un salaire mensuel moyen équivaut au prix de deux kilos de viande », explique Rima Flihan pour illustrer le désespoir dans lequel vivent ses concitoyens. « Les gens n’en peuvent plus. Ils savent que pour que l’économie change, ça prend aussi un changement politique réel », dit-elle.

Il est cependant plutôt étonnant que ce ras-le-bol s’exprime à Soueïda, un haut lieu de la population druze syrienne. Au cours des 12 dernières années, cette minorité religieuse a tout fait pour rester neutre, négociant une entente avec le régime pour que les jeunes druzes ne soient pas envoyés au front dans le reste du pays, mais puissent intervenir en cas d’attaque dans leur région.

Mais neutralité n’a jamais vraiment rimé avec assentiment aveugle, à Soueïda. La vague de protestation actuelle – la plus importante à défaut d’être la plus première – a débuté quand Bachar al-Assad a supprimé les subventions pour l’essence, tout en doublant les salaires des employés de l’État. Ces décisions ont à la fois suscité la consternation et un sentiment d’injustice, note Rima Flihan. Depuis le 20 août, le mouvement de protestation enfle à Soueïda, mais se propage aussi ailleurs. À Deraa, autour d’Alep et dans d’autres villes.

Comment réagit le dictateur syrien ? Comme si tout se passait bien dans le royaume qu’il a hérité de son père et dont il contrôle à nouveau la majorité du territoire.

Ces jours-ci, il est surtout occupé à se refaire une place sur la scène internationale. Malgré les allégations de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité qui pèsent sur le leader syrien, la Ligue arabe lui a déroulé le tapis rouge lors de sa dernière réunion.

Cependant, le rapprochement diplomatique ne se fait pas de gaieté de cœur. Les Saoudiens, notamment, espèrent surtout profiter du retour d’Assad à la table pour mettre fin à un fléau venu de Syrie, le captagon. Cette drogue stimulante hautement addictive – surnommée la drogue des djihadistes – donne d’énormes maux de tête aux pays du Golfe.

La Syrie, elle, en tire d’importants revenus. « La Syrie d’aujourd’hui est un narco-État et Bachar al-Assad est son Pablo Escobar », laisse tomber à ce sujet Fabrice Balanche, professeur et directeur de la recherche à l’Université Lyon 2. « Assad pourrait décider de tout arrêter, mais il utilise le tout comme levier pour forcer les pays du Golfe à l’aider à reconstruire son pays, renchérit l’expert du Moyen-Orient. Pour le moment, son chantage ne fonctionne pas. »

La situation n’est pas très rose non plus avec ses alliés traditionnels. « L’Iran et la Russie, les deux grands argentiers de la reconstruction, ont d’autres préoccupations. La Russie met ses ressources en Ukraine, alors que l’Iran, qui subit des sanctions de l’Occident et veut négocier une nouvelle entente sur le nucléaire, demande à la Syrie de payer ses dettes », note Marie-Joëlle Zahar, professeure de science politique de l’Université de Montréal.

Devant le manque de ressources, le mécontentement de la population grandit. « Assad a peut-être gagné la guerre, mais il va peut-être perdre la paix », estime la spécialiste.

De Brisbane, Rima Flihan acquiesce, en présentant les choses sous un autre angle. « Quand le régime a remporté la guerre grâce à des activités militaires, il a prétendu avoir mis fin à la révolution syrienne. Mais ça n’a rien à voir. La révolution que nous avons commencée en 2011 est pacifique, la bataille que nous menons depuis est pour la démocratie. Et sur ce front, Bachar al-Assad n’a pas gagné. »

En témoignent les milliers de manifestants qui sont dans la rue en Syrie ces jours-ci. Comme en 2011.