Les jardins de Lodi sont parmi les endroits les plus atmosphériques de New Delhi. On y vient pour prendre une bouffée d’air frais et se promener parmi les monuments anciens. Ces jours-ci, on s’y rend surtout pour voir sécher le plâtre flambant neuf.

À l’approche du Sommet du G20 qui doit débuter samedi dans la capitale indienne, on a voulu polir l’image de la ville, quitte à recouvrir quelques fresques historiques et à modifier des ruines centenaires. Au grand dam des archéologues.

On a aussi rasé des bidonvilles qu’auraient pu voir les leaders des plus grandes économies mondiales et leurs immenses délégations respectives. Et tant pis pour les centaines de milliers d’Indiens vulnérables déplacés ou jetés à la rue.

L’Inde se prépare pour un gros show, et le premier ministre Narendra Modi veut que ça ressemble beaucoup plus à une mégaproduction de Bollywood qu’à un remake de la Cité de la joie. Après tout, c’est lui qui jouera le rôle central.

La ville de 35 millions d’habitants est couverte d’affiches à son effigie. Certaines ont même été installées ces jours-ci pour claironner qu’il est le leader élu démocratiquement le plus populaire au monde, coiffant au poteau ses homologues mexicain, australien, suisse, brésilien, italien et américain. Le tout est tiré d’un sondage du 5 septembre (!) de la firme Morning Consult dans lequel le premier ministre indien récolte un taux d’approbation de 76 % (Justin Trudeau est à 39 %, selon la même étude).

PHOTO MANISH SWARUP, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

New Delhi pullule d’affiches à l’effigie du premier ministre Narendra Modi.

Ajoutez à cela le fait que son principal rival sur la scène internationale, le président chinois Xi Jinping, a annoncé qu’il ne ferait pas le voyage, même s’il est dans le pays d’à côté. Idem pour Vladimir Poutine, qui a ainsi retiré une immense épine du pied du leader indien, qui entretient de bonnes relations avec la Russie en ces temps de guerre.

Narendra Modi aura donc toute la scène à sa disposition ce week-end, mais pour en faire quoi ? Voilà la question qui tue.

Plusieurs experts craignent que le Sommet du G20 à Delhi – à l’instar de celui en Indonésie l’an dernier – n’accouche pas d’une traditionnelle déclaration commune des leaders, notamment à cause des dissensions au sujet du conflit russo-ukrainien.

D’autres pensent que Narendra Modi a déjà prévu le coup et qu’il ralliera les chefs d’État et de gouvernement présents autour de la nécessité de mieux épauler les pays en voie de développement. « L’Inde se positionne comme le leader des pays du Sud. Elle investit dans des routes faisant concurrence aux nouvelles routes de la soie de la Chine. Aux Nations unies, elle défend les pays en développement. Même chose à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) », note Serge Granger, professeur à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke, qui vient tout juste de publier l’essai Les cousins de l’Empire, sur les liens intellectuels entre le Québec et l’Inde.

Selon le politologue, Narendra Modi, qui a donné comme thème à la rencontre « Une Terre, une famille, un avenir », utilisera le forum pour mobiliser les grandes économies mondiales autour du fonds de 100 milliards que réclament les pays les plus pauvres de la planète pour faire face aux effets des changements climatiques. La cause est juste, et les interlocuteurs autour de la table – presque tous les grands pollueurs du monde y sont – ne pourraient être mieux choisis.

Mais comme dans tous les sommets du G20, il ne faut pas garder les yeux seulement sur le programme principal. Le premier ministre indien espère surtout que la réunion internationale présentera au monde l’image d’une Inde de plus en plus puissante et de plus en plus économiquement attrayante pour nombre de pays qui veulent prendre leurs distances de la Chine. Et ça inclut le Canada.

Avec son 1,4 milliard d’habitants, le pays de Gandhi est aujourd’hui – pour la première fois – le plus populeux du monde, fait valoir Serge Granger. Sa main-d’œuvre est plus jeune que celle de la Chine. Et les prévisions de croissance économique cette année, de 7 %, sont meilleures que celles de l’empire du Milieu, où l’économie montre de sérieux signes d’essoufflement.

Bien alléchant, tout ça, mais il ne faudrait pas que les puissants de ce monde oublient que sous l’épaisse couche de plâtre tout frais, il y a aussi de sérieuses fissures que l’actuel gouvernement – nationaliste hindou – essaie de camoufler.

À commencer par les tensions intercommunautaires grandissantes. Plus tôt cette semaine, un rapport d’experts onusiens a dénoncé la réaction tardive et inadéquate du gouvernement devant une vague de violence sexuelle horrifiante qui a principalement pris pour cibles des femmes chrétiennes de l’État de Manipur et coûté la vie à plus de 100 personnes.

Et que dire de la tentative du camp du premier ministre d’écarter son principal rival politique, Rahul Gandhi, en le traînant devant les tribunaux à l’approche des prochaines élections ?

Le tout devrait nous rappeler que le spectacle diplomatique du week-end devrait jeter de la lumière sur la plus grande démocratie du monde plutôt que sur son dirigeant actuel.

Le G20, c’est quoi… et qui ?

Cousin du G7, créé en 1999 à l’initiative de Paul Martin, à l’époque ministre des Finances du Canada, et de Larry Summers, alors secrétaire au Trésor des États-Unis, le G20 rassemble les 19 plus grandes économies du monde et l’Union européenne. À l’origine forum de discussions de politiques économiques, le G20 a depuis élargi son mandat et touche aussi aux questions politiques, environnementales et de développement. Les pays membres sont l’Afrique du Sud, l’Allemagne, l’Arabie saoudite, l’Argentine, l’Australie, le Brésil, le Canada, la Chine, la Corée du Sud, les États-Unis, la France, l’Inde, l’Indonésie, l’Italie, le Japon, le Mexique, le Royaume-Uni, la Russie et la Turquie.