Le gouvernement Modi envisagerait de remplacer « India » par « Bharat ». C’est sérieux ?

L’Inde est-elle sur le point de se donner un nouveau nom ? La question est sur toutes les lèvres cette semaine, alors que le pays s’apprête à accueillir le G20.

Dans une invitation officielle envoyée aux participants du sommet, le gouvernement du premier ministre Narendra Modi a en effet remplacé l’appellation « India » par le terme « Bharat », mot sanscrit renvoyant aux récits védiques datant de plusieurs millénaires.

PHOTO SAJJAD HUSSAIN, AGENCE FRANCE-PRESSE

Un piéton passe devant le logo du sommet du G20 installé à New Delhi.

De quoi alimenter les rumeurs d’un changement de nom, qui circulaient d’ailleurs depuis un moment. Selon divers médias, une session extraordinaire du Parlement serait même prévue plus tard en septembre, sans qu’on en connaisse le programme législatif.

Selon l’article 1 de la Constitution indienne, « Bharat » est déjà l’un des deux noms officiels du pays. En langue hindie, il est régulièrement utilisé au lieu d’« India ».

Mais au sein du Bharatiya Janata Party (BJP), au pouvoir depuis neuf ans, les pressions se multiplient pour qu’on donne formellement la prééminence au terme « Bharat ». Raison invoquée : le nom « India » est un vestige du colonialisme britannique et, par conséquent, un « symbole de l’esclavage », dont il serait judicieux de se débarrasser.

Rappelons que le Royaume-Uni a dirigé le pays pendant 200 ans, jusqu’à son indépendance en 1947.

Un geste stratégique ?

Cette initiative s’inscrit dans la démarche ethnonationaliste du BJP. Le parti de Modi est régulièrement accusé de vouloir asseoir la suprématie de la religion hindoue, majoritaire en Inde, au détriment des autres minorités, au premier chef les musulmans. Ces dernières années, il a déjà fait supprimer des noms anglais et même islamiques imposés sous l’Empire moghol (1526-1857) de certains lieux, institutions politiques et livres d’histoire.

Mais pour Serge Granger, professeur à l’Université de Sherbrooke et auteur du livre Les cousins de l’Empire – Le Québec et l’Inde, tout juste paru, les motifs sont loin d’être purement idéologiques.

Il y a un élément de décolonialisme, mais surtout une sauce très épaisse d’électoralisme !

Serge Granger, professeur à l’Université de Sherbrooke

Les prochaines élections indiennes sont en effet prévues au printemps 2024. Or, le BJP, largement majoritaire, avec 303 sièges sur 543, commence à montrer des signes de plafonnement. M. Granger croit que ce projet de changement de nom peut venir « fortifier le vote dans le Nord », où se trouve une grosse partie de son socle électoral.

Même son de cloche chez Narendra Subramanian, professeur de sciences politiques à l’Université McGill. Ce dernier explique qu’en dépit de son apparente majorité parlementaire, le BJP n’a pas remporté plus de 37 % des voix aux deux dernières élections et qu’il se sent « menacé » à l’approche du prochain scrutin.

Selon lui, le projet d’adoption du nom Bharat serait une réaction au bloc d’opposition récemment formé sous l’impulsion du parti du Congrès, et dont le nom est INDIA, acronyme d’Indian National Development Inclusive Alliance.

« Ce nom a été choisi par opposition au nationalisme exclusif du BJP et au fait que le gouvernement a déçu en termes de développement économique, explique M. Subramanian. Le parti de Modi sait en effet qu’il ne peut plus se reposer sur ses promesses de croissance, alors il essaie de chercher des votes en se rabattant sur le culturalisme hindou. »

Soutiens et résistances

En Inde, les rumeurs concernant ce projet ont suffi à susciter un mélange de réactions offusquées chez les adversaires de Narendra Modi et de soutiens enthousiastes dans d’autres milieux.

« J’espère que le gouvernement ne sera pas assez bête pour se passer complètement de l’“Inde” », a ainsi commenté Shashi Tharoor, responsable du parti du Congrès sur X, ex-Twitter. « Nous devrions continuer à utiliser les deux mots » et ne pas renoncer à « un nom chargé d’histoire, un nom reconnu dans le monde entier », a-t-il ajouté.

L’ancien joueur de cricket Virender Sehwag s’est au contraire félicité de la perspective d’un tel changement et a exhorté le conseil de cricket indien à commencer à mettre « Bharat » sur les uniformes des équipes.

PHOTO SPYROS BAKALIS, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le premier ministre indien, Narendra Modi

Reste à voir si le gouvernement Modi passera de la parole aux actes, chose plus facile à dire qu’à faire, estime M. Subramanian, en évoquant les deux tiers de votes parlementaires nécessaires à tout amendement constitutionnel (362 sur 543).

« Il leur faudra le soutien d’autres partis, ce n’est pas acquis », dit-il.

Pour Serge Granger, le gouvernement Modi risque en outre de se heurter à des résistances, notamment dans les États du Sud, qui n’ont pas les mêmes origines linguistiques, et parce que le projet va « à contre-courant » de l’identité indienne construite depuis deux siècles.

« Je présume que l’idée de Bharat, il va la pousser sans vraiment l’accomplir, conclut-il. C’est un peu comme le troisième lien pour la CAQ… »

Avec l’Agence France-presse