Les yeux sont tournés vers le Niger ces jours-ci. Le putsch militaire qui vient d’avoir lieu dans ce pays africain appauvri n’est pas anodin. On parle d’un « désastre pour le pays, pour la région [du Sahel] et pour le monde » à l’horizon, pour reprendre la formule d’un ambassadeur du Niger. Ce qui paraît anodin, cela dit, c’est ce qui semble y avoir mené : un différend entre deux hommes.

Le 26 juillet, donc, le chef de la garde présidentielle du Niger, le général Abdourahamane Tchiani, a procédé avec ses hommes à la séquestration du président qu’il était censé protéger, Mohamed Bazoum, élu démocratiquement en 2021. Ce dernier se trouve depuis prisonnier de sa résidence officielle.

Selon plusieurs experts et rapports médiatiques, le président avait décidé deux jours plus tôt de remplacer le général Tchiani, à l’aube de la soixantaine, à la tête de sa garde personnelle.

Pourquoi ? On l’ignore.

Ce qu’on sait cependant, c’est que M. Tchiani était en poste depuis 12 ans. Qu’il était un proche du prédécesseur de M. Bazoum, Mahamadou Issoufou, issu du même parti politique.

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Le général Abdourahamane Tchiani (à droite) s’est autoproclamé président du Conseil national de la sauvegarde de la patrie.

En 2021, deux jours avant que M. Bazoum entre en poste, M. Tchiani a joué un rôle central pour déjouer une tentative de putsch. Sans grande surprise, donc, le nouveau président l’avait vite reconfirmé dans ses fonctions.

Or, deux ans plus tard, le président a changé d’idée et il semble que le général Tchiani ne l’ait pas apprécié. M. Issoufou a tenté une médiation. En vain.

Le 28 juillet, le général a lu un discours dans lequel il s’est autoproclamé président du Conseil national de la sauvegarde de la patrie – le nom que s’est donné la junte –, affirmant vouloir freiner la « dégradation de la situation sécuritaire » du pays.

L’argument est boiteux. Dans le Sahel, cette grande bande de pays qui se trouve sous le Sahara et qui est devenue la principale ligne de front du combat djihadiste, le Niger est le pays qui s’en sort le mieux en matière de sécurité.

Les islamistes armés et autres groupuscules qui sont en train de gruger de l’intérieur les pays voisins – soit le Burkina Faso, le Mali et le Nigeria, pour ne nommer que ceux-là – y sont un peu moins actifs.

La situation n’est pas rose pour autant : le Niger arrive dixième au monde parmi les pays les plus touchés par le terrorisme, selon le plus récent Index du terrorisme mondial.

Consultez la carte de l’Index du terrorisme mondial (en anglais)

S’il semble que ce soit un bras de fer entre un leader politique et un chef militaire qui a été l’étincelle du putsch au Niger, cette étincelle a besoin de matériaux inflammables pour que le feu prenne.

À ce jour, l’armée du Niger ne s’est pas opposée au renversement. En principe, pour éviter un bain de sang et protéger le président. Les deux régimes militaires des pays avoisinants, eux, se sont montrés solidaires du général Tchiani et de ses hommes.

« Il semble y avoir un récit par les hauts gradés militaires dans la région selon lequel ils sont mieux placés pour traiter des enjeux de sécurité que les leaders civils », m’a dit Adib Bencherif, professeur de politique appliquée à l’Université de Sherbrooke, expert du Sahel.

Au cours des dernières années, les coups d’État militaires se sont succédé à une vitesse folle autour du pays. Guinée, Burkina Faso, Mali et Soudan ont tous subi le même sort.

Est-ce que la mainmise des militaires sur le pouvoir a amélioré la donne pour les civils ? « Pas du tout ! La situation a empiré, dit M. Bencherif. Dans les capitales, on dit qu’on maîtrise la situation, mais on sait qu’il y a beaucoup d’exactions. Human Rights Watch publie rapport après rapport sur la question. On voit qu’au nom du contre-terrorisme, des communautés peuvent être massacrées », ajoute l’expert.

Un élément saillant qui ne peut être ignoré dans cette crise est le discours anti-occidental de la junte et des franges de la population qui la soutiennent. Le tout a des airs de déjà vu.

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Dans la rue de la capitale, Niamey, les messages réclamant le départ de la France côtoient les drapeaux russes.

Ancien pouvoir colonial, la France est clouée au pilori et les drapeaux russes apparaissent dans les manifestations. Les mercenaires russes du groupe Wagner, actifs dans les pays voisins, n’ont pas tardé à serrer la main des putschistes. Leur chef, Evguéni Prigojine, étrange héros d’une mutinerie ratée en Russie en juin, a été le premier à féliciter le général Tchiani et ses troupes.

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Le président du Niger, Mohamed Bazoum, et le président de la République française, Emmanuel Macron, à Paris le 23 juin dernier

Le président Bazoum, lui, représente l’inverse de cette approche. Il collabore avec la France et les États-Unis – qui ont ensemble 2600 soldats déployés dans le pays – ainsi qu’avec plusieurs démocraties occidentales. En plus de l’aide militaire, le pays reçoit plus de 2 milliards US d’aide internationale par année, soit près de 40 % de son budget.

Sous sa gouverne, le Niger est devenu le seul pays du Sahel où l’Occident combat le djihadisme directement.

Cette porte qui est en train de se fermer signifie que la lutte contre Al-Qaïda, l’État islamique et autres incarnations du même phénomène pourrait tomber complètement aux mains des juntes militaires et de la Russie. Et il est là, le désastre.

Pas étonnant que la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest, représentant 15 nations du continent, qui a envoyé une délégation diplomatique à Niamey jeudi, menace d’intervenir militairement si le président n’est pas réintégré dans ses fonctions. Ce qui était à l’origine un conflit entre deux hommes – un combat de coqs – a le potentiel de déstabiliser toute la basse-cour de la sécurité mondiale.