Plus de 250 Européens ont été évacués du Niger, en Afrique de l’Ouest, à bord d’un avion envoyé par la France, près d’une semaine après qu’un coup d’État a menacé de déclencher un conflit régional.

Les évacuations ont eu lieu moins d’une journée après que deux États voisins, le Burkina Faso et le Mali, ont déclaré qu’ils uniraient leurs forces pour défendre la nouvelle junte militaire du Niger si un bloc d’autres pays de la région mettait à exécution sa menace d’intervenir tant que le président évincé, Mohamed Bazoum, ne serait pas rétabli dans ses fonctions.

Marie Bertrand, qui dit travailler pour une société française au Niger, a fait ses valises à la hâte après avoir reçu un message d’évacuation mardi matin de l’ambassade de France, qui a été attaquée dimanche par des partisans de la prise de pouvoir par les militaires.

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« Je me suis préparée à ne prendre qu’un bagage et à laisser tout le reste derrière moi », a-t-elle déclaré.

Le ministère français des Affaires étrangères a déclaré que la plupart des 262 personnes à bord de l’avion étaient françaises. Un deuxième avion devait également décoller mardi, et l’Italie a déclaré qu’elle mettrait également en place un vol.

Le Mali et le Burkina Faso en alerte

Les tensions ont augmenté après que la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a promis dimanche de prendre « toutes les mesures nécessaires », y compris une éventuelle action militaire, pour forcer le rétablissement du président nigérien dans ses fonctions.

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Avion de l’armée de l’air française atterrissant mardi à l’aéroport international de Niamey

Le Mali et le Burkina Faso, eux-mêmes dirigés par des gouvernements militaires issus de coups d’État, ont réagi lundi en déclarant qu’ils considéreraient toute action contre le Niger comme une « déclaration de guerre » contre leur propre pays.

De nombreux analystes ont déclaré lors d’entretiens qu’une confrontation militaire imminente était peu probable. Mais la déclaration a encore accru les enjeux d’une crise de plus en plus grave qui a mis en évidence de profondes fissures régionales et déclenché une alarme internationale quant à l’orientation d’une région où une succession de gouvernements sont tombés aux mains des militaires au cours des quatre dernières années.

La crise au Niger, où environ 2600 soldats américains et français sont stationnés, pourrait également s’étendre à un conflit régional plus vaste.

Un responsable militaire français a déclaré lors d’une réunion d’information mardi que la coopération militaire avec le Niger avait été suspendue, mais que les troupes françaises ne quittaient pas le pays. Le Pentagone a également déclaré qu’il avait suspendu la coopération militaire avec le Niger pour le moment.

Bazoum garderait le moral

L’incertitude persiste quant à l’identité du véritable responsable au Niger, un pays défavorisé de 25 millions d’habitants dont la superficie est deux fois plus grande que celle de la France.

Mohamed Bazoum, 63 ans, qui a été arrêté par sa propre garde présidentielle mercredi, est détenu dans sa résidence privée près du palais présidentiel à Niamey. Mais il peut recevoir des visiteurs – une photo publiée sur les réseaux sociaux dimanche montrait un Mohamed Bazoum souriant assis avec le président du Tchad en visite, Mahamat Déby, un médiateur dans la crise – et il prend les appels téléphoniques des dirigeants du monde et de ses propres fonctionnaires.

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Le général Abdourahamane Tchiani, nouvel homme fort du Niger

Le général Abdourahamane Tchiani, chef de la garde présidentielle, a prétendu être à la tête du conseil militaire qui dirige le pays. Le général Tchiani, âgé de 59 ans, a reçu une formation militaire en France et aux États-Unis, au College of International Security Affairs Fort McNair, à Washington, DC. Mais il est tombé en disgrâce auprès de Mohamed Bazoum et a critiqué l’approche de ce dernier dans la lutte contre les insurgés dans le pays, qui s’est fortement appuyée sur le soutien de la France et des États-Unis.

L’ambassadrice du Niger en Grande-Bretagne et en France, Aïchatou Boulama Kané, a déclaré mardi à la BBC qu’elle avait parlé à Mohamed Bazoum et qu’il se portait bien. « Son moral est bon », a-t-elle assuré. L’ambassadrice a précisé qu’elle parlait au nom du président déchu et non au nom du général Abdourahamane Tchiani, le chef de la junte qui prétend aujourd’hui diriger le pays.

Un test important pour la CEDEAO

Cette crise est un test difficile pour la CEDEAO et son chef, le président récemment élu du Nigeria, Bola Tinubu. La CEDEAO a déjà suspendu le Burkina Faso, le Mali et la Guinée en raison des coups d’État militaires survenus dans ces pays depuis 2020. La déclaration ferme de dimanche indique que le bloc est prêt à agir militairement, si nécessaire, malgré un bilan mitigé en matière d’interventions dans les conflits régionaux.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

La CEDEAO a fixé à dimanche prochain la date limite pour la réintégration de M. Bazoum.

Pour l’instant, la CEDEAO espère combattre le coup d’État par un blocus économique du Niger, pays enclavé qui dépend fortement de ses voisins pour ses échanges commerciaux et sa stabilité financière.

Les mesures annoncées dimanche comprennent une série de sanctions punitives à l’encontre des putschistes, ainsi que la suspension de tous les échanges commerciaux et transferts financiers entre les États membres et le Niger. L’Union européenne a également gelé les avoirs du Niger dans les banques régionales.

La Guinée, qui est dirigée par une junte militaire depuis 2021, a déclaré qu’elle ne se joindrait pas aux sanctions contre le Niger, bien qu’elle n’ait pas fait mention d’une action militaire.

Mais les dirigeants de la junte nigérienne ont trouvé un soutien puissant auprès de leurs homologues militaires du Mali et du Burkina Faso, qui ont développé des liens plus ou moins étroits avec la Russie à mesure qu’ils prenaient leurs distances avec la France.

Signes de colère

L’évacuation du Niger par la France est la dernière d’une série de coups portés au pouvoir et au prestige de la France en Afrique occidentale et centrale, une région qu’elle a dominée pendant des décennies après la fin du colonialisme dans les années 1960.

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Nigériens participant à une manifestation organisée par les partisans du chef du coup d’État, le général Abdourahamane Tchiani, à Niamey, dimanche

La junte au Mali a expulsé 5000 soldats français l’année dernière et a fait appel à 1500 mercenaires de Wagner, la société militaire privée soutenue par le Kremlin, qui a depuis été accusée d’avoir mené des massacres au cours desquels des centaines de civils ont été tués.

Au Burkina Faso, la France a retiré ses troupes cette année à la demande du gouvernement militaire du pays. Le chef du Burkina Faso, le capitaine Ibrahim Traoré, a fait l’éloge de la Russie lors d’une rencontre avec le président russe, Vladimir Poutine, à l’occasion du sommet Russie-Afrique qui s’est tenu à Saint-Pétersbourg, en Russie, la semaine dernière.

Selon les analystes, les affrontements militaires au Niger pourraient détourner les soldats des combats nationaux contre les insurgés islamistes.

« Les partenaires régionaux ont besoin du Niger et de son armée structurée pour stabiliser la région », a déclaré Fahiraman Koné, chercheur à l’Institut d’études de sécurité, établi au Mali.

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Manifestants pro-junte brisant une porte de l’ambassade de France à Niamey, dimanche

Même dans les pays où il n’y a pas d’insurrection, comme le Sénégal, les manifestants ont pris pour cible des symboles de la puissance économique française, comme les stations-service et les supermarchés appartenant à des Français.

Au Niger, dimanche, des centaines de manifestants ont jeté des pierres et des cocktails Molotov sur le mur de l’ambassade de France.

Cet article a été publié dans le New York Times.

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