Vendredi matin, je voulais essayer de dire pourquoi les accusations contre Donald Trump sont graves. Pourquoi ce n’est pas exactement un cas de livre en retard à la bibliothèque.

Puis, le département de la Justice des États-Unis a publié les accusations, 44 pages détaillant les infractions reprochées à l’ancien président.

Et là, j’ai changé d’idée.

Pas que le détail des faits avancés soit moins grave que je ne le croyais. Au contraire, c’est très sérieux et ça justifie amplement des accusations criminelles.

Mais tout ça est en même temps une immense comédie burlesque.

Dans 100 ans, ou peut-être juste l’année prochaine, quand on examinera l’effondrement de l’empire américain, on aura l’image de ces boîtes de documents « top secret » sur des secrets nucléaires empilées n’importe comment dans des cartons humides, au fond d’une salle de bains.

PHOTO DÉPARTEMENT DE LA JUSTICE DES ÉTATS-UNIS, FOURNIE PAR L’AGENCE FRANCE-PRESSE

D’autres boîtes de documents empilées dans une salle de bains de la résidence de Mar-a-Lago

Des experts devisent depuis des mois sur les motivations profondes de Donald Trump. Pourquoi a-t-il sorti toutes ces boîtes de documents ? Pourquoi a-t-il refusé de les rendre ? Pourquoi en a-t-il caché certaines quand il en a rendu d’autres ? Pourquoi mentir à la police ? À ses avocats ?

On pourrait imaginer un sombre complot pour vendre de l’information sensible à une puissance étrangère. Prenons un pays au hasard… Tiens, peut-être la R***** ? Peut-être voulait-il faire chanter le gouvernement américain, qui menaçait de le faire accuser un jour ? Avoir une monnaie d’échange ? Car il y aura d’autres accusations !

Ben non.

Trump voulait juste « avoir ça ». Les posséder. En parler. Les montrer un peu. S’en vanter. Écœurer le gouvernement fédéral.

Rien en tout cas dans la preuve révélée ne montre le moindre plan cohérent. Des boîtes étaient sur la scène d’une des deux salles de bal. D’autres dans sa chambre à coucher. D’autres encore derrière une cuvette de toilette. Certaines étaient dans le garage. Tout ça dans une sorte de désordre.

On voit des employés les déplacer d’un endroit à l’autre. En parler entre eux. On voit une boîte éventrée et des papiers classés « secret » tombés par terre, avec des codes indiquant qu’il s’agit d’un secret impliquant les États-Unis et les « Five Eyes » (États-Unis, Royaume-Uni, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande).

PHOTO DÉPARTEMENT DE LA JUSTICE DES ÉTATS-UNIS, FOURNIE PAR L’ASSOCIATED PRESS

Cette salle de stockage du domaine de Mar-a-Lago contenait elle aussi des boîtes de documents classifiés, selon l’acte d’accusation.

Des employés se textent :

— On peut enlever des boîtes dans le centre d’affaires ? Il manque de place pour les employés…

— Il reste un peu de place dans la douche…

On voit Trump avec des auteurs et leur éditeur montrer des plans d’attaque d’un pays (l’Iran, apparemment). Les documents sont évidemment classés top secret ; il n’a pas le droit de les avoir en sa possession ; il en a été averti ; les gens présents avec lui (au moins cinq personnes) n’ont aucune autorisation de sécurité… Il s’en fout.

Pourquoi leur montrer ça ?

Un peu comme on montrerait sa collection de Corvette.

— Regarde-moi ça si c’est beau… J’en ai une jaune, aussi ! Non, mais imagine comme il faut être big pour avoir ça !

Toute la conversation avec ces auteurs est enregistrée. Elle montre clairement ceci : il sait très bien que ces documents sont classifiés. Il dit qu’il avait le pouvoir de les déclassifier pendant sa présidence, mais plus à ce moment-là (en juillet 2021).

Le mois suivant, il rencontre des gens de son comité d’action politique. Il leur montre une carte classée secrète. « Je ne devrais pas faire ça, ne t’approche pas trop pour la regarder… »

Comme pour dire : hey, regarde ce que j’ai dans les mains, personne n’a ça à part moi… Même moi je n’ai pas le droit… Viens voir, mais reste loin…

« As-tu déjà mangé ça, de l’ours polaire ? » (réplique mémorable de François Papineau dans Vice caché). Oui, monsieur, j’ai ça dans mon congélateur, c’est totalement illégal. Je t’ouvre le couvercle, mais ne touche pas !

La possession et le transport de ces documents sont en soi une infraction. Mais si c’était par inadvertance, ou même en étant un peu coquin, il n’y aurait jamais eu d’accusation. Mike Pence et Joe Biden, qui avaient quelques documents classés de bien moindre importance, les ont eux-mêmes retournés sans qu’on les leur demande.

Moi qui vous parle, j’ai un livre sur la magie emprunté à mon école primaire en 1976. J’oublie sans cesse de le retourner. Et je dois m’entraîner encore, car ma prestidigitation n’est pas au point.

Trump, lui, s’est fait demander les documents pendant des mois et des mois. À un moment donné, les gens des Archives ont vu qu’ils ne les obtiendraient jamais. Ils ont appelé le FBI.

Il leur en a remis quelques-uns. Il en a caché d’autres. Il a fait croire à ses avocats qu’il les avait remis. Mais il leur a d’abord demandé peu subtilement s’il pouvait simplement ignorer la demande. Ou peut-être les cacher. Ou les détruire ?

À la fin, il a fallu cette descente de la police pour aller chercher les documents.

Il avait en sa possession au moins 30 documents classés « top secret », c’est-à-dire des documents dont la divulgation pourrait causer des dommages « exceptionnellement graves » à la sécurité nationale.

Au moins 98 étaient « secrets » : dont la divulgation est de nature à créer de graves dommages à la sécurité nationale.

Et des dizaines de documents « simplement » confidentiels.

Si Trump est accusé d’entrave à la justice, c’est qu’il a manœuvré pour dissimuler ces documents, même après avoir reçu un ordre formel du grand jury de Floride. Grand jury de citoyens ayant autorisé ces accusations, en passant.

Des milliers de personnes ont été présentes à Mar-a-Lago, le domaine de Floride des Trump, pendant que tous ces documents étaient facilement accessibles pour un esprit fouineur – ou peut-être un espion, ça existe !

La capacité nucléaire, les faiblesses militaires du pays, les sources secrètes, les plans militaires, les échanges avec les renseignements étrangers, etc. Tout ça est hautement explosif.

Trump lui-même en 2018 (l’acte d’accusation le rappelle) avait insisté sur l’importance de la protection des renseignements secrets, et le risque de leur dissémination. Il pensait évidemment aux courriels d’Hillary Clinton, bien innocents à côté de cette masse classée par les agences de renseignements.

Ça ne l’a pas empêché de laisser traîner les boîtes vaguement ici et là, sans hiérarchie, comiquement tassées dans divers coins.

Pourquoi ?

Pour dire : je suis puissant.