(Bedford) Le Québec a l’ambition de faire de l’acerum son spiritueux identitaire. L’eau-de-vie d’érable de Fove, la plus raffinée qu’on ait goûtée à ce jour, ajoute une belle pierre à l’édifice. Nous avons suivi la distillatrice Corinne Cluis jusqu’à Bedford pour mieux comprendre ce qui fait la précision et la délicatesse de son produit.

C’est dans les installations de la distillerie Comont que la biochimiste élabore et perfectionne ses acerums. Elle y a accès à un bel alambic hybride, qu’elle a appris à manipuler pour en faire ressortir un alcool à la fois pur et aromatique. Les deux entreprises ont aussi improvisé une « cave » dans les lofts Bedford, où ils peuvent faire mûrir leurs précieux nectars.

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Corinne Cluis produit les acerums Fove.

Ainsi, il y a maintenant deux produits Fove sur les tablettes de la SAQ : l’acerum blanc sorti au printemps dernier et l’acerum ambré (vieilli), offert depuis quelques semaines seulement. À respectivement 46,75 $ et 52,75 $ la bouteille de 500 ml, ils sont étonnamment moins chers que les autres eaux-de-vie d’érable en vente à la société d’État.

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Touche japonaise

Ceux et celles qui s’attendent à un goût de cabane à sucre seront surpris. Le blanc rappelle plutôt… le saké ! Ses arômes évoquent plus précisément la boisson de riz japonaise de type « ginjo », avec des notes très fruitées de melon miel, de poire, de réglisse rouge. À 40 % d’alcool, c’est bien un spiritueux complètement sec et non une liqueur sucrée.

« L’acerum, c’est un peu une dissonance cognitive parce que ça se rapproche beaucoup plus d’une eau-de-vie comme la grappa que d’un produit de l’érable », constate Corinne Cluis.

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Corinne Cluis extrait un peu d’acerum d’un fût.

L’acerum ambré de Fove, lui, est moins déroutant. Les fûts de bourbon ont laissé des effluves de vanille et de noisette. Ceux de rhum ont marqué le liquide de fruits confits et d’un peu de mélasse. Le produit est un assemblage de distillats vieillis pendant six et huit mois dans ces deux types de contenants. Il est tout aussi maîtrisé et subtil que son petit frère vierge de bois.

Si les spiritueux Fove sont aussi précis, c’est peut-être parce qu’ils sont nés d’un esprit scientifique. Avant de se lancer dans la création d’alcools, la titulaire d’un doctorat en biologie moléculaire de l’Université Concordia travaillait pour l’entreprise montréalaise Lallemand, un des plus grands fabricants de levures au monde, notamment pour le vin et les spiritueux.

« Je dirigeais l’équipe de recherche dont le mandat était de caractériser la “signature aromatique” de nos différentes souches de levure et également d’en identifier des nouvelles permettant le développement de goûts distinctifs pour différentes classes de spiritueux, surtout pour le whisky, le rhum et la tequila, explique Corinne Cluis. Un autre aspect de nos recherches était de comprendre et de documenter l’impact de différentes conditions de fermentation sur les arômes des spiritueux. »

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Corinne Cluis hume un acerum fraîchement sorti de son fût.

Puis l’envie lui a pris d’essayer elle-même de créer un produit bien distinctif. La beauté des flacons choisis par la scientifique, qui rappellent la parfumerie haut de gamme et les bouteilles fines de grappa, témoigne de sa sensibilité pour le design. Elle a confié l’image de marque, à la fois élégante et percutante, à l’agence Harrison Fun.

C’est vraiment un défi de commercialiser l’acerum parce que ce n’est pas encore un alcool connu. Mais je trouve aussi que c’est une belle page blanche et une opportunité extraordinaire de développer quelque chose d’unique au Québec. Je pourrais faire du whisky, mais qu’est-ce que mon whisky apporterait de plus à tous ceux qui existent déjà ?

Corinne Cluis, fondatrice de Fove

Une appellation contrôlée ?

L’appellation « acerum du Québec » pourrait bientôt exister. Un cahier des charges a été déposé au Conseil des appellations réservées et des termes valorisants (CARTV) et une Union des distillateurs de spiritueux d’érable (UDSE) a vu le jour. Elle compte aujourd’hui une dizaine de membres, et on trouve maintenant une dizaine de produits sur les tablettes de la SAQ. Mais ce n’est rien comparé aux 200 gins d’ici, disons.

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Corinne Cluis a fait un grand nombre de tests de vieillissement.

« On est encore dans l’expérimentation et j’ai envie de participer à cette recherche-là. Chacun y va de sa recette, avec son équipement. Mais on peut s’attendre à ce qu’un jour, on trouve la meilleure manière de le faire, le meilleur temps et le meilleur bois de vieillissement. C’est léger quand ça sort de l’alambic, alors il ne faut pas l’écraser. À mon avis, il faut le traiter davantage comme une tequila qu’un whisky. »

Corinne Cluis utilise des fûts qui ont eu plusieurs passages et jamais de bois neuf. Dans la salle de dégustation de Comont, elle nous fait goûter à un acerum qui a vieilli dans un fût de rhum jamaïcain. Ça ne ment pas. La mélasse est bien présente. Puis, l’érable n’étant pas le seul sucre qui intéresse l’éternelle curieuse, on goûte à un rhum distillé à partir de mélasse blackstrap et vieilli dans des fûts de rye. Encore une fois, l’influence du contenant est manifeste, avec des notes bien plus épicées.

« Je cherche à aller chercher encore plus de caractère, de spécificité. Pour l’instant, quelqu’un qui ne voit pas trop les différences entre les spiritueux vieillis pourrait penser que c’est un whisky. » Bref, il reste encore beaucoup à faire pour comprendre l’acerum et pour le faire connaître chez nous comme ailleurs.

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