La fin approche, je suis épuisée, comme toi aussi sûrement. Pour moi, ce sont les prestations de cours qui se terminent, les centaines de corrections qui se pointent avec les nécessaires commentaires à formuler, les frustrations et les déceptions à gérer.

Pour toi, c’est le sprint final, les projets longs, les examens, les travaux d’équipe qui épuisent avec comme trame de fond l’anxiété et le stress. Bref, une fin de session typique d’un étudiant de cégep. Pourtant, alors que ton attention et ton assiduité devraient être au maximum de leur capacité, boostées par l’adrénaline de la fin, je te cherche et ne te trouve pas. Où es-tu, mon bel étudiant ?

Où es-tu quand je te vois en classe le regard sur ton cellulaire à peine caché alors que je présente des enjeux sociaux qui te concernent, nous concernent et qui avant suscitaient tellement de réactions que je devais prendre des tours de parole ?

Suis-je différente ? Suis-je devenue une prof inintéressante, plate, démotivante ? Les sujets, les thèmes, les enjeux, les questionnements de notre vie en société sont-ils maintenant désuets, dépassés, impertinents pour toi ?

Où es-tu, mon bel étudiant, avant le début des cours ou durant les pauses ? Je ne t’entends plus discuter, rire, exprimer tes doléances et tes joies qui me permettaient de saisir des bribes de ta vie que tu laissais s’échapper au contact des autres et qui rendaient la vie de cégep si belle et vivante.

Où es-tu, mon bel étudiant, quand je te croise dans les corridors la tête penchée, l’échine courbée vers ce monde qui t’aspire ? Que t’offre-t-il, ce monde, que je n’arrive pas à concurrencer ? Est-il plus doux ? Plus enveloppant ? Plus excitant ? Plus stimulant ? Plus sécurisant ?

Reviens-moi, car j’ai le sentiment bien cruel que tu me glisses entre les doigts par les fils d’actualité de ton réseau savamment orchestré d’algorithmes vampirisant ton attention, ton esprit, ta concentration.

Reviens me confronter dans mes vérités de prof, reviens me toucher par tes confidences sur ta vie, tes besoins, ta réalité. Reviens, mon bel étudiant, échanger avec les autres en classe, vous entendre rire, parler, trop parler même me rend heureuse. D’ailleurs je choisis sans nulle hésitation ton côté bavard plutôt que ton silence, ton enfilade de mots à la vitesse grand V plutôt que ta présence absente.

Tu me manques, car cette danse pédagogique ne peut se faire sans toi, impossible !

J’ai besoin de toi et j’en appelle à ta curiosité intellectuelle, à ton désir d’apprendre, à ton sens critique, à ta soif de dépassement. J’ai besoin de toi dans ton imperfection et ton immaturité, de toi où tu es rendu. J’ai besoin de ta présence réelle, audible et vivante en classe pour me propulser et me donner l’énergie de continuer de croire en toi, de créer du matériel, d’améliorer et peaufiner mon travail. Le sens de ma vie professionnelle passe par la qualité de la relation que nous développons ensemble.

La vie d’une classe de cégep, comme n’importe quelle salle de classe, je présume, est une occasion unique de moments mémorables, parfois durs et intenses, mais rarement inodores ou insipides. La vie est grouillante et débordante, c’est comme ça que je l’aime et c’est sans doute pour ça que je me sens si triste devant ta présence spectrale.

Je sais que l’attrait est puissant, que la machination addictive est une réussite, que bien des adultes font de même, mais je veux y croire ! Je ne me résignerai jamais à accepter cet état de fait, tu mérites mieux, je mérite mieux. Notre société mérite mieux. Et je sais que nous savons ce que nous devons faire, ensemble !

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