En octobre dernier, la Loi visant à moderniser la profession notariale et à favoriser l’accès à la justice (projet de loi n34) a été sanctionnée.

Cette loi vise notamment à prévoir l’utilisation des technologies de l’information dans le cadre de l’exercice de la profession notariale. Elle modifie la Loi sur le notariat afin notamment de prévoir la réception et la conservation des actes notariés en minute sur un support technologique, De plus, elle constitue un Greffe central numérique (GCN) administré et financé par la Chambre des notaires du Québec (CNQ), dans lequel seront conservés tous les actes notariés.

La CNQ, en introduction de son mémoire sur le projet de loi n34, présenté à la Commission des institutions, écrivait ceci : « Le gouvernement réitère donc sa confiance en l’ordre professionnel qu’est la Chambre en lui confiant la responsabilité du Greffe central numérique (GCN) où seront conservés tous les actes notariés technologiques. »

D’entrée de jeu, nous devons saluer les initiatives du ministère de la Justice afin d’œuvrer de façon concrète à un meilleur accès à la justice et au désengorgement des tribunaux. Dans ce contexte, plusieurs avancées sont bénéfiques pour la profession notariale et la population québécoise : exécution forcée, accessibilité pour les notaires à la fonction de juge… Il ne faut donc pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Cependant...

Cadeau ou épée de Damoclès ?

La mission de la CNQ est la protection du public. En ayant l’entière responsabilité du GCN, nous sommes d’avis que la Chambre des notaires du Québec met potentiellement en péril sa capacité d’assurer sa mission de protection du public, conformément au Code des professions. Elle devient seule responsable du GCN et en supporte également seule les risques financiers, juridiques, réputationnels et informationnels.

À la lecture du mémoire de la CNQ et du journal des débats de la Commission des institutions, nous ne sommes pas certains que le conseil d’administration de la CNQ soit conscient du fait que ce « cadeau » du gouvernement du Québec est également une épée de Damoclès.

Pour qu’un tel projet fonctionne, sans exposer la CNQ à des risques indus, une infrastructure de conservation des greffes technologiques de notaires, idéalement chapeautée par un organisme gouvernemental ou paragouvernemental, extrabudgétaire, doit être mise en place en assurant une étanchéité et un degré de sécurité suivant de très hauts standards de sécurité.

La CNQ en ferait partie, sans pour autant engager sa responsabilité et celle des notaires, en vertu d’une place privilégiée à son conseil d’administration, lui permettant de participer activement à l’évolution du GCN et d’assurer son rôle de surveillance et d’enquête.

Et la signature électronique à distance ?

La signature électronique à distance, dont l’utilité et l’efficience ont clairement été démontrées pendant la pandémie, n’est maintenant permise que dans des cas exceptionnels.

Plusieurs parties prenantes, dont les clients et une majorité de notaires, sont stupéfaits de ce recul.

Le caractère d’exception de l’acte notarié reçu à distance est beaucoup trop strict et ne permet malheureusement que peu de possibilités pour faciliter l’exercice de la profession notariale, et pour le client, l’accessibilité à des services notariaux. Le législateur a omis de s’en tenir au bon jugement d’officiers publics, que sont les notaires, pour évaluer l’aptitude d’une personne à donner un consentement libre et décider, après analyse, de la modalité de réception, en présence ou à distance, d’un acte.

N’aurait-il pas eu lieu que cette signature électronique à distance puisse être autorisée de façon générale mais limitée, par voie réglementaire, pour en définir les modalités particulières lorsque des personnes vulnérables sont concernées ?

Le projet de loi n34 ne permet pas cette souplesse, n’est pas modulable.

N’est-ce pas ironique ? D’une part, la Chambre des notaires du Québec devra assumer seule l’entière responsabilité et les risques d’un Greffe central numérique, et d’autre part, on refuse dorénavant que le notaire puisse recevoir, de manière habituelle, la signature à distance d’actes électroniques.

La légèreté, voire l’insouciance, sous-jacente à l’une nous apparaît aux antipodes de la rigueur réactionnaire de l’autre. Dans les deux cas cependant, il ne semble pas y avoir d’analyse rigoureuse s’appuyant sur des données probantes qui explique les orientations.

La population québécoise est-elle réellement avantagée par ces solutions mises de l’avant ? Laissez-nous en douter !

*Cosignataires : MBruno Burrogano, notaire ; MFrançois Dupuis, notaire ; MRobert Ledoux, notaire ; MJean Morin, notaire

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