Monsieur Trudeau, aujourd’hui, c’est une mère de famille dans la jeune quarantaine qui vous écrit. Une mère de famille condamnée par la maladie d’Alzheimer. Chez moi, l’alzheimer, ce n’est pas un futur lointain. C’est ma réalité, depuis cinq ans déjà. Tous les jours, mes proches et moi vivons des pertes : je perds mes affaires, je perds mon vocabulaire, je perds mon chemin… Je perds la mémoire, mais je ne veux pas perdre ma dignité.

Alors j’ai décidé : un jour, je bénéficierai de l’aide médicale à mourir. Avant de ne plus reconnaître mes enfants, avant de ne plus pouvoir aller à la salle de bains seule, avant de ne plus savoir mon propre nom : à ce moment-là, il sera temps pour moi de quitter cette vie. À ce moment-là, seulement.

Je ne veux pas avoir à perdre ma dignité, mais je ne veux pas avoir à devancer ma mort en demandant l’aide médicale à mourir tout de suite.

Les demandes anticipées, c’est me permettre de vivre des moments doux en compagnie de mon amoureux, d’être témoin des réalisations de mes enfants, de jouer avec mon petit-fils. Ce sont des moments précieux pour moi. Votre gouvernement m’en prive.

Uniformiser le Code criminel

Avec sa loi sur les demandes anticipées, le Québec devrait désormais me permettre de décider maintenant que je mourrai plus tard et de profiter sereinement du temps qu’il me reste. Ce n’est pas le cas, car nous avons besoin d’une uniformisation du Code criminel. Pourtant, vos ministres ont récemment dit qu’ils ne prévoyaient pas d’autoriser les demandes anticipées. Cette manœuvre politique, c’est mon espoir qui se brise.

PHOTO FOURNIE PAR SANDRA DEMONTIGNY

Sandra Demontigny est touchée par une forme précoce et héréditaire de l’alzheimer.

Savez-vous toutes les larmes que je verse à chaque recul ? Savez-vous l’angoisse et la souffrance que ces délais entraînent pour moi, pour mes proches et pour toutes les personnes concernées par une maladie neurocognitive grave et incurable ? Nous ne sommes pas des chiffres, nous ne sommes pas des tactiques politiques.

Nous sommes des humains en souffrance et nous voulons avoir le droit de vivre nos dernières années de vie et de mourir dignement, au bon moment.

Je suis terrorisée à l’idée que la fenêtre de ma capacité à consentir aux demandes anticipées se referme sur moi et me condamne à dépérir petit à petit comme mon père l’a vécu. Nous sommes si proches du but, et pourtant tout est bloqué par votre gouvernement.

Monsieur Trudeau, qu’attendez-vous pour nous offrir une fin de vie sereine ?

* Sage-femme de profession, autrice et mère de famille, Sandra Demontigny est aussi une militante active pour les demandes anticipées d’aide médicale à mourir. Elle est porte-parole de l’Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité et créatrice de la page Facebook « Je vis avec l’Alzheimer précoce », où elle raconte son quotidien de femme d’une quarantaine d’années, touchée par une forme précoce et héréditaire de la maladie d’Alzheimer.

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