Dans Soins de fin de vie, qui décide ?, Jocelyne Saint-Arnaud nous propose un coffre à outils pour bien préparer le grand départ. Professeure émérite de l’Université de Montréal, l’éthicienne nous invite à nous questionner sur nos valeurs et nous encourage à ne pas fuir les conversations difficiles avec nos proches. À lire si vous ne voulez pas qu’on prenne des décisions importantes à votre place.

Nathalie Collard : Pour qui et pourquoi avoir écrit ce livre ?

Jocelyne Saint-Arnaud : J’avais publié plusieurs ouvrages destinés aux professionnels de la santé et j’ai prononcé beaucoup de conférences. J’ai réalisé qu’il y avait une demande dans la population d’être mieux informé des possibilités qui s’offrent à nous pour prévoir et faire connaître nos choix à l’avance concernant la fin de vie. L’objectif étant de ne pas laisser aux proches toute la responsabilité de prendre des décisions difficiles, surtout quand il s’agit d’arrêts de traitement qui maintiennent la vie. Le livre parle surtout des personnes qui décèdent à l’hôpital et donc, les problèmes qui sont soulevés sont en lien avec tout ce qu’on peut faire à l’hôpital pour maintenir la vie.

N.C. : Vous dites que la communication est primordiale, avec nos proches et avec les professionnels de la santé ?

J. S.-A. : C’est difficile de parler de la fin de vie. Les médecins eux-mêmes utilisent le terme « pronostic sombre » pour dire qu’il n’y a plus d’espoir de guérison. Or il y a des moyens de faire connaître ses volontés, comme les directives médicales anticipées. Je présente chaque option dans le livre, j’explique leur utilité et leurs limites, leur aspect légal et éthique.

N.C. : Cela dit, au-delà du fait de remplir des documents qui seront placés au dossier médical, il est important d’en parler avec ses proches.

J. S.-A. : Quand on est rendu en fin de vie, il n’est pas dit qu’on sera capable de leur dire qu’on ne veut pas être réanimé, par exemple. Souvent, on voit des enfants qui découvrent les volontés de leurs parents et qui sont comme un peu choqués parce qu’il n’y a pas eu de discussion au préalable à propos de la fin de vie. C’est important de parler de ces choses-là.

N.C. : Parlant de réanimation et de traitements, vous trouvez qu’on médicalise trop la fin de vie ?

J. S.-A. : À ce sujet, je conseille le livre Anticancer du docteur français David Servan-Schreiber, aujourd’hui décédé. Il disait que la mort est comme la naissance, mais qu’avec les avancées de la médecine, on l’avait médicalisée, qu’elle était devenue très « technique ». Je suis assez d’accord avec lui. Le but de mon ouvrage c’est donc de montrer quelles sont les limites de ces techniques et d’expliquer qu’il est possible de les refuser. Je pense que si les soins à domicile étaient plus développés au Québec, on aurait d’autres conditions de décès. Selon moi, il n’est pas toujours utile de prolonger la vie et de faire souffrir la personne avec un traitement qui devient plus lourd que la maladie elle-même.

N.C. : Comment s’assurer que nos volontés seront transmises et respectées ?

J. S.-A. : Il faut remplir les documents (ils sont tous présentés dans le livre) et il faut idéalement que ces documents soient inscrits à votre dossier médical. Quand je siégeais au comité d’éthique de l’Hôpital du Sacré-Cœur-de-Montréal, j’avais recommandé qu’on ajoute un onglet dédié aux directives médicales anticipées afin que le personnel y ait accès facilement. C’est quelque chose qui est facile à implanter et qui pourrait être uniformisé dans la province. Ça évite les problèmes qui peuvent survenir quand la personne n’est plus autonome et n’a plus toute sa tête pour exprimer ses volontés. Ça évite aussi des chicanes, surtout quand des enfants aux opinions différentes doivent prendre des décisions pour leur parent.

N.C. : Avec le temps s’est imposée l’idée que l’aide médicale à mourir est la seule façon de mourir sans souffrance et selon ses propres termes. Qu’en pensez-vous ?

J. S.-A. : Si on est en milieu hospitalier, on peut refuser des traitements et avoir une mort quand même douce et non souffrante sans avoir accès à l’aide médicale à mourir. Je ne parle pas tellement de l’AMM dans mon livre. Je pense qu’il y a quand même d’autres moyens avant d’en arriver là.

Les propos recueillis ont été abrégés par souci de concision.

Extrait

« Concernant les soins de fin de vie, il n’est pas rare que des membres d’une même famille ne soient pas d’accord sur un arrêt de traitement qui s’avère futile, entraîne de la douleur sans apporter de bénéfices à la personne en cause, outre le maintien d’une vie strictement biologique. Les raisons des oppositions familiales à l’arrêt de traitement sont multiples. Certaines personnes n’acceptent pas le décès d’un proche, étant incapables de faire leur deuil, d’autres ont des intérêts financiers à satisfaire au moyen du prolongement de la vie de cette personne, et enfin, certains tentent d’honorer une promesse de faire tout ce qui est possible pour maintenir la vie. »

Qui est Jocelyne Saint-Arnaud ?

Philosophe spécialisée en éthique de la santé, Jocelyne Saint-Arnaud est professeure honoraire à l’Université de Montréal, formatrice pour l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, chercheuse associée au Centre de recherche en éthique et à l’Institut de recherche en santé publique de l’Université de Montréal. Elle s’intéresse notamment à la limite des ressources en santé, la détresse morale des soignants et les soins de fin de vie.

Soins de fin de vie : Qui décide ?

Soins de fin de vie : Qui décide ?

Boréal

222 pages