Le Québec est l’endroit en Amérique du Nord où les gens vivent le plus longtemps.

Ce n’est pas rien, vivre plus longtemps. C’est voir ses enfants s’épanouir et ses petits-enfants grandir. C’est avoir des mois et des années de plus pour marcher dans la forêt, pour souper entre amis, pour lire, pour embrasser la personne qu’on aime. Je ne sais pas pour vous, mais moi, des vies, j’en prendrais cinq ou six de plus. Nous n’en avons malheureusement qu’une, mais celle des Québécois est plus longue que celle de la plupart des humains sur terre.

Répétons-le donc : l’espérance de vie des Québécois est d’un an de plus que celle des autres Canadiens et de six ans de plus que celle des Américains⁠1. Quel est notre secret ? Serait-ce possible que notre système de santé ne soit pas si mauvais ?

Aïe. Je sens déjà le déferlement de courriels haineux. Mais attendez. Parlons d’abord des déterminants de la santé, cela nuancera l’importance de la contribution du réseau de la santé à notre bien-être et, ensuite, nous traiterons brièvement des sources de nos difficultés actuelles.

Plusieurs facteurs influencent la santé des populations, mais ils n’ont pas tous le même poids. L’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) estime ainsi le poids relatif des éléments qui influencent notre santé : environnement social et économique (50 %), système de soins (25 %), biologie et génétique (15 %) et environnement physique (10 %)⁠2.

La clé de notre santé se trouve donc dans notre environnement économique et social ou, autrement dit, dans notre niveau d’instruction, dans notre niveau de richesse et dans notre capacité d’entraide.

À cet égard, l’État providence québécois a produit des résultats exceptionnels. En 40 ans, nous sommes passés d’une des nations les moins instruites et les plus pauvres en Amérique du Nord à l’une des plus instruites et des plus riches de tous les pays industrialisés. Il y a, chez nous, par exemple, moins d’inégalités socioéconomiques, moins de grande pauvreté, moins d’inégalités hommes-femmes, moins de violence que chez tous nos voisins. Conséquence de tout cela, entre 1991 et 2021, donc en 30 ans seulement, les hommes québécois ont gagné 7 années d’espérance de vie (de 73,6 à 81,29) et les femmes, 4,5 (de 80,6 à 84,99). Oui, notre rattrapage a été extraordinaire (et on ne le célèbre pas assez).

Le réseau de la santé s’est modernisé lui aussi, il est en partie responsable de ce succès, mais il en est également la victime.

En effet, le réseau de la santé doit maintenant traiter plus de gens, car la population augmente, il doit aussi traiter proportionnellement plus d’aînés, car la nation québécoise est, avec le Japon, une de celles qui vieillissent le plus vite au monde (loin devant les pays européens), et il doit évidemment traiter tout ce beau monde plus longtemps parce que notre espérance de vie croît. C’est la tempête parfaite.

Un autre phénomène s’ajoute : les technologies médicales et les médicaments ont évolué à la vitesse grand V, notre arsenal pharmacologique et technologique nous coûte beaucoup plus cher qu’avant et l’État arrive difficilement à suivre l’explosion des coûts. Il y arrive d’autant moins que les patients sont plus informés qu’avant et qu’ils exigent eux-mêmes des interventions de pointe.

Pour faire face à ces tendances lourdes, les réformes du réseau de la santé se sont succédé, elles aussi, à la vitesse grand V.

Contrairement à ce que l’air ambiant nous laisse entendre, ces réformes nous ont fait faire des pas en avant, les gens restent moins longtemps à l’hôpital, le réseau traite plus de gens et, oui, les gens vivent plus longtemps grâce à diverses innovations.

Il y a toutefois deux domaines qui expliquent une grande part de nos graves difficultés actuelles.

Premier domaine : l’affaiblissement constant de la première ligne. Les citoyens doivent être accueillis, écoutés, suivis par des gens qui les connaissent, par des équipes multidisciplinaires, par des institutions locales capables d’adapter les actions du réseau à la réalité locale, par exemple en maintien à domicile des aînés, une de nos urgences nationales. Les réformes Couillard et Barrette ont fait exactement le contraire. La machine a pris le dessus sur l’humain. Le ministre Dubé, lui, prétend donner un plus grand pouvoir d’agir aux gestionnaires sur le terrain, tout en les reliant directement aux dirigeants tout-puissants de Santé Québec. La décentralisation prend, dans cette réforme, des airs d’énantiosémie : le fait pour un mot de signifier une chose et son contraire. J’espère malgré tout que l’avenir donnera raison au ministre Dubé.

Deuxième domaine : en 50 ans, tous les gouvernements ont plié devant les médecins. Le corporatisme médical l’a toujours emporté. Salaires indécents. Multiplication des primes. Vision du réseau centré sur l’hôpital, donc les médecins, plutôt que sur la première ligne, négligence de la prévention. Combats acharnés pour préserver chaque parcelle du pouvoir des médecins. Le corporatisme médical est un boulet au pied de l’État. L’affrontement actuel du ministre Dubé avec la FMOQ en est un bel exemple. Il faut que le ministre l’emporte.

En matières économique et sociale, le Québec a fait un spectaculaire rattrapage qui nous permet aujourd’hui de profiter de la vie plus longtemps. Toutefois, le corporatisme médical et notre manque de volonté de donner du pouvoir et des ressources aux instances locales compromettent notre capacité de faire, de nouveau, un grand bond en avant… et d’en être fiers.

1. Lisez l’article « L’espérance de vie fait un bond au Québec » 2. Consultez la page « Déterminants de la santé » sur le site de l’INSPQ Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue