Gilles Girard est un résidant de l’Outaouais qui rêvait d’air pur. Il a donc quitté Gatineau pour s’installer à Val-des-Monts, plus au nord.

Une maison, de l’espace, un poêle à bois.

La vraie vie.

Au fil des ans, M. Girard a toutefois réalisé… qu’il s’emboucanait lui-même.

« Val-des-Monts, c’est beaucoup de petites montagnes très rapprochées les unes des autres, explique-t-il. Si t’es pas sur la butte, t’es dans le trou – c’était mon cas. Quand je chauffais au bois et qu’il ne ventait pas beaucoup, la fumée de mon propre poêle à bois remplissait la vallée autour de la maison. »

À force d’être ainsi exposé, M. Girard a développé une hypersensibilité.

« Du moment que je sentais de la fumée de feu de camp ou de poêle à bois, une seule respiration suffisait à me faire tousser pendant cinq minutes », raconte-t-il.

Il a fini par vendre maison et poêle à bois pour déménager… au sommet d’une colline.

« Encore aujourd’hui, quand des voisins allument un feu ou un poêle à bois, j’espère toujours qu’il vente assez, sinon la toux revient. En campagne, les gens ont l’impression qu’ils peuvent se permettre tout ce qu’ils veulent », dénonce-t-il.

L’histoire de Gilles Girard est typique d’un débat qui prend de l’ampleur au Québec : celui opposant ceux qui veulent respirer de l’air pur à ceux qui désirent poursuivre la tradition millénaire de brûler du bois.

Un débat qui renferme tous les ingrédients pour faire des flammèches.

D’abord, il oppose santé publique et libertés individuelles. Ça vous rappelle les masques et les vaccins pendant la pandémie ?

Ensuite, il touche à des habitudes bien ancrées, voire à un mode de vie, qui se voient maintenant menacées par des gens en train de brandir des études scientifiques. On peut faire un parallèle avec les changements climatiques.

Vous êtes plusieurs à en avoir ras le pompon de vous faire regarder croche parce que vous conduisez un VUS, que vous ne vivez pas dans un condo écoénergétique dernier cri ou que vous mangez du steak au lieu du tofu.

Et il faudrait maintenant être considéré comme un ennemi public parce qu’on allume un feu de foyer ? Le sentiment de se faire (encore) dire quoi faire et quoi ne pas faire ne passe pas.

Je devine que c’est cette accumulation qui vient d’exploser au visage du maire de Québec, Bruno Marchand.

Plus tôt ce mois-ci, M. Marchand a interdit l’usage des foyers et des poêles à bois pour quelques jours à cause de la mauvaise qualité de l’air à Québec. La décision, qui découle d’un nouveau règlement, était appliquée pour la toute première fois de l’histoire de la ville.

Elle a déclenché une telle controverse que le maire a dû s’excuser.

« Est-ce qu’on doit mieux communiquer ? Oui. Est-ce qu’on doit mieux l’expliquer et dire pourquoi ? Oui et oui. C’est la première fois qu’on le fait, faut se donner le droit à l’erreur », a-t-il affirmé à la station BLVD 102,1.

Il n’y a pas qu’à Québec que les feux de bois génèrent de la grogne.

Dans les Laurentides, la question du smog hivernal provoque aussi des remous.

L’an dernier, la Société des établissements de plein air du Québec (SEPAQ) a amorcé une réflexion sur la présence des feux de camp dans ses parcs, remettant en question pour la première fois ce qu’on pourrait appeler la « culture de la guimauve grillée sur bâton ». Elle réagissait aux pressions d’un citoyen, Daniel Vézina. Ses enfants et lui ont développé de graves problèmes de santé après avoir été exposés à un « smog de camping » au parc national du Mont-Tremblant1.

Récemment, la volonté de Santé Canada de réglementer les fours à bois des restaurateurs a aussi amené les défenseurs des bagels et des pizzas à monter au front. Encore là, on a invoqué l’importance des traditions2.

La science, il faut le dire, est du côté des partisans de l’air pur. Mettre une bûche dans le poêle est un geste beaucoup moins anodin qu’il peut sembler. Les particules fines générées par la combustion, si elles ne sont pas captées, entrent dans le corps par les poumons et peuvent y causer toutes sortes de dommages.

L’an dernier, Santé Canada a publié une étude sur le sujet. Elle contient un chiffre-choc3.

On y affirme que le chauffage au bois résidentiel contribue à 1400 décès par année au Québec. C’est tout simplement énorme. La statistique dépasse de beaucoup les morts liées à la pollution des véhicules (400 décès) ou de l’industrie (360 décès).

Le chiffre est si frappant que j’ai voulu en discuter avec un chercheur n’ayant pas participé à l’étude.

Le DStéphane Perron, médecin-conseil à la Direction de la santé environnementale de toxicologie et du travail de l’Institut national de santé publique du Québec, me précise d’abord qu’il ne faut pas voir le chauffage au bois comme l’unique cause des 1400 décès. Ce facteur y a plutôt contribué.

Il m’explique aussi que ces décès ne sont pas comptabilisés comme on recense ceux provoqués par les surdoses ou les accidents de la route, par exemple. Ils découlent plutôt d’une modélisation basée sur plusieurs hypothèses.

« Si j’avais à parier, je dirais que ce modèle surestime sans doute un peu les décès liés au chauffage au bois, et qu’il sous-estime très certainement les décès liés au transport routier », dit le DPerron.

Ces nuances sont importantes, mais n’occultent pas l’essentiel : les particules fines émises par la combustion du bois représentent un problème de santé publique grave et largement sous-estimé.

Que faire à partir de là ?

J’oserais une réponse fort peu originale, mais qui a l’avantage de rarement empirer les choses : s’informer et se parler.

Les propriétaires de foyers et de poêles à bois auraient avantage à bien comprendre les risques qu’ils génèrent. C’est d’autant plus vrai que, comme Gilles Girard, ils en sont souvent les premières victimes. La certification EPA, maintenant obligatoire pour les nouveaux appareils au bois, réduit les particules émises, mais elle ne règle pas tout et est contestée jusqu’en cour aux États-Unis4.

Les politiciens qui imposent des restrictions, eux, ont l’obligation de bien expliquer leurs décisions. C’est ce que le maire Marchand a appris à la dure.

Quant aux partisans de l’air pur (j’en suis !), ils ont raison de vouloir protéger leur santé et celle des autres et de pousser pour de meilleures politiques de santé publique. Mais ils ne gagneront rien à braquer les utilisateurs d’appareils au bois – surtout que ceux-ci n’ont quand même pas acheté leur foyer dans le sombre dessein d’empoisonner leurs semblables.

« Si on arrive avec une solution qui n’est pas socialement acceptable, ça ne passera pas », dit le DStéphane Perron.

Ces paroles sont sages. Elles ne veulent surtout pas dire qu’il faut choisir l’inaction. Simplement que devant un enjeu aussi mal compris, on se doit de donner la chance à la sensibilisation et au dialogue avant de provoquer une (autre) ligne de fracture.

1. Lisez l’article « La SEPAQ s’interroge sur les effets des feux de camp sur la santé » 2. Lisez l’article « Laissez nos pizzas et bagels tranquilles » 3. Consultez l’étude de Santé Canada 4. Lisez l’article de l’Associated Press (en anglais) Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue