Il faut préserver nos fours à bois et établir un meilleur équilibre entre l’environnement et nos traditions culinaires.

La décarbonation de notre économie doit rester une priorité absolue. Nous devons ajuster nos pratiques pour préserver notre planète à tout prix, une perspective largement partagée par la grande majorité de la population. Toutefois, nos ambitions environnementales peuvent parfois heurter certains aspects importants de nos vies, en particulier lorsqu’elles nous contraignent à changer nos habitudes et traditions gastronomiques. L’arrivée massive sur le marché des produits à base de protéines végétales a suscité des réactions mitigées parmi les omnivores et les carnivores ; cet avènement représente un bel exemple.

Un autre sujet de préoccupation émerge avec les récentes intentions d’Environnement et Changement climatique Canada de réglementer l’utilisation des fours à bois en restauration. Selon un communiqué récent, le gouvernement Trudeau envisage d’exiger que certaines boulangeries et divers restaurants utilisant des fours à bois pour la cuisson rapportent annuellement leurs émissions totales de pollution atmosphérique à l’Inventaire national des rejets de polluants (INRP). Évidemment, parmi les restaurants utilisant ces fours à bois, on retrouve les pizzerias et les célèbres boulangeries de bagels.

L’INRP est un inventaire accessible au public, réglementé au niveau fédéral, qui répertorie les polluants émis dans l’air, l’eau et la terre par les installations industrielles, commerciales et institutionnelles. Tous les propriétaires et exploitants d’installations répondant à certaines exigences doivent soumettre des rapports annuels détaillant les émissions totales de pollution de leurs installations à l’INRP, qui les transmet au ministre de l’Environnement et du Changement climatique. En l’absence de rapport, l’entreprise risque des amendes considérables.

Il est prévisible qu’une telle contrainte obligera de nombreux établissements à engager des consultants pour mesurer les émissions, à soumettre des rapports et à subir des coûts supplémentaires. C’est souvent le cas avec ce genre de réglementation, et fort probablement que des taxes s’ajouteront également.

Il faut noter que chaque ville et chaque province ont leurs propres règles concernant les fours et les foyers. Au-delà de cela, l’objectif principal de ce registre fédéral vise à mesurer de manière précise les émissions de gaz à effet de serre (GES) dans l’ensemble de l’économie, y compris dans le secteur agroalimentaire.

Cependant, au-delà des préoccupations financières, se pose un problème plus fondamental : les goûts et les pratiques culinaires chéris depuis des décennies. Les fours à bois apportent une saveur unique qui ne peut être égalée par aucun autre moyen. Avez-vous déjà essayé de déguster un bagel à Toronto, où l’utilisation de fours à bois est interdite ? Sans ces fours, les bagels perdent leur saveur caractéristique. La communauté juive montréalaise a développé l’art de créer les meilleurs bagels au monde en utilisant des fours à bois. Les bagels de Montréal, connus sous le nom de Montreal-style bagels, constituent un trésor qui fait partie intégrante du patrimoine de la ville et de la communauté qui a joué un rôle majeur dans l’histoire de la province.

En ce qui concerne la pizza, la situation devient encore plus complexe. En 2017, l’UNESCO a déclaré la pizza napolitaine comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Pour préparer la pizza napolitaine authentique, il est impératif d’utiliser un four à bois. Réduire les émissions de GES est indiscutablement important, mais nos intentions peuvent parfois aller trop loin.

En fin de compte, il s’agit de perturber notre héritage culinaire. La cause environnementale demeure noble, mais il devient essentiel de mettre en perspective nos priorités afin de nous attaquer à des problèmes environnementaux plus graves que l’utilisation de fours à bois pour cuire nos pizzas et nos bagels.

Précision: Dans une déclaration publiée sur X (voir ci-dessous), Environnement et Changement climatique Canada affirme ne pas avoir l'intention d'inspecter les pizzerias et les boulangeries de bagels.