J’avais 15 ans en 1976, lorsque le Parti québécois est arrivé au pouvoir. Je n’étais pas politiquement engagé, mais j’étais fasciné par les publicités créées au Québec, souvent à forte saveur nationaliste.

J’étais de ceux qui savaient déjà dans quel domaine ils souhaitaient faire carrière. Mon intérêt pour la publicité était d’abord lié au marketing et au monde des affaires, mais il suscitait aussi chez moi une curiosité pour la communication sociétale, et la façon dont les grandes marques puisaient dans le zeitgeist et les grandes tendances du moment afin de se positionner dans l’esprit des Québécois.

C’est à cette époque que Jacques Bouchard, celui qu’on appelle le père de la publicité francophone au Québec, publiait ses 36 cordes sensibles des Québécois. J’ai souvenir d’en avoir présenté une analyse au collège. M. Bouchard était à la fois publicitaire, sociologue, ethnographe et stratège politique. Et même s’il était clairement fédéraliste, ayant travaillé aux campagnes de Pierre Elliott Trudeau, il savait faire vibrer la fibre nationaliste afin de vendre de la bière. C’est son agence qui créa une des plus mémorables campagnes de publicité du Québec pour la Labatt 50.

Accompagné d’une musique inoubliable composée par François Dompierre, ce portrait du Québec des années 1970 invitait les 6 millions de Québécois à se connaître.

Le Québec a bien changé depuis. La Labatt 50 n’est plus ce qu’elle était. Et il y a maintenant 9 millions de Québécois. Une croissance démographique qui s’explique d’abord par l’immigration.

Pourtant, en visionnant cette campagne, presque 50 ans plus tard, elle continue de susciter chez moi un sentiment d’appartenance et de fierté. Elle fait toujours vibrer. Mais elle est aussi frappante par ses images et témoignages qui présentaient un Québec blanc, francophone et de Québécois de souche. Pourtant, même en 1976, le vrai visage du Québec n’était pas si homogène. Selon les analyses de Céline Le Bourdais et de Victor Piché dans leur ouvrage La démographie québécoise publié en 2019, 79 % des 6 027 765 Québécois en 1971 étaient d’origine ethnique française, 10,6 % britannique, et 10,4 % étaient issus de groupes ethniques autres que britannique ou français.

Un message toujours pertinent

Le Québec accueille aujourd’hui en moyenne 800 nouveaux arrivants par jour⁠1, et c’est eux qui sont largement responsables de l’augmentation de la croissance de la population du Québec. Cette croissance est essentielle à la prospérité et à l’avenir de la nation québécoise.

Même si le visage du Québec s’est transformé, le message véhiculé par la Labatt 50 demeure toujours aussi pertinent aujourd’hui.

On est 6 millions, faut se parler. Dis-moi comment tu t’appelles. On est 6 millions de presque parents. On est 6 millions, faut se parler du travail de nos mains, de ce qu’on fera demain. On est 6 millions, c’est du monde à connaître, faut se parler.

On est aujourd’hui 9 millions et on s’appelle aussi Ginette Taylor, Georges Khaled, Claude Carrier-Kowalski, Dorothy Désinor et An Nguyen.

C’est non seulement du monde à connaître, c’est du bon monde, comme le dit si bien le livreur dans la pub de bière.

Les publicitaires savent que « chez nous » et « ici » sont des mots lourds de signification au Québec. Il faudrait songer à ajouter le mot « ensemble » à cette liste afin de souligner non seulement l’évolution démographique du Québec, mais aussi l’importance de l’inclusion et de l’unité dans la communication moderne.

Qui sait ? C’est peut-être une publicité de bière qui pourra à nouveau faire rêver tous les Québécois et Québécoises d’un avenir commun où tous se parlent et s’écoutent.

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