En matière d’immigration, la proposition du Parti québécois (PQ) tranche avec celle des autres partis politiques : il est le seul parti à proposer une réduction importante des seuils d’immigration permanente, de 56 600 à 35 000 immigrants par an.

Selon le chef du PQ, Paul St-Pierre Plamondon, l’immigration n’est pas une solution à la pénurie de main-d’œuvre.

« L’expérience des 20-30 dernières années, [c’est qu’]on augmente les seuils et on est toujours en pénurie de main-d’œuvre. Augmenter l’immigration ne comble pas la pénurie de main-d’œuvre, et les études sont nombreuses pour le confirmer. Il faut être capable de débattre sur des prémisses qui sont vraies, qui n’induisent pas la population en erreur », a dit M. St-Pierre Plamondon lors d’un débat sur l’immigration à RDI, il y a deux semaines.

Or, les études sur l’impact économique des immigrants sont… beaucoup plus nuancées.

Mais le plus gros problème, c’est que les économistes que le PQ cite pour justifier son seuil de 35 000 immigrants permanents ne recommandent pas de réduire les seuils d’immigration permanente au Québec.

Le PQ cite souvent les études de l’économiste Pierre Fortin. À l’été 2022, dans une chronique publiée dans L’actualité, M. Fortin recommandait plutôt de garder les seuils permanents stables à 50 000 et de les augmenter progressivement à 55 000. « Entre 50 000 et 60 000, c’est correct comme nombre », m’a dit la semaine dernière le professeur émérite d’économie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Des nuances, s’il vous plaît

Le débat sur l’immigration est sensible et très complexe. J’éprouve un profond malaise quand je vois des politiciens ou des chroniqueurs en parler sans nuances avec une certitude absolue, ne pas considérer tous les faits dans leur ensemble, et accuser quiconque ne partageant pas leur position de propager des faussetés.

L’immigration n’est pas seulement une affaire d’économie, mais concentrons-nous uniquement sur les arguments économiques aux fins de cette chronique.

J’ai lu trois études mondiales étoffées sur les effets économiques de l’immigration, réalisées par l’OCDE1, les National Academies of Sciences, Engineering and Medicine aux États-Unis2 et par un professeur d’économie de Harvard3, en plus de l’étude de Pierre Fortin (qui sera publiée ultérieurement) et de l’Institut du Québec4. Leurs conclusions sont très nuancées. En général, les conclusions des économistes sont les suivantes :

1) l’immigration n’est pas une potion magique ou une solution miracle sur le plan économique ;

2) l’immigration a des impacts économiques bénéfiques, mais ceux-ci sont généralement faibles ;

3) certains économistes estiment que l’immigration hausse très légèrement le niveau de richesse d’un pays (le PIB par habitant), d’autres qu’elle le diminue très légèrement ;

4) les immigrants sont généralement des contributeurs fiscaux nets (ils paient davantage d’impôts et de cotisations qu’ils ne reçoivent de prestations gouvernementales). C’est le cas au Québec5 ;

5) les immigrants ne « volent » pas les emplois des natifs. Au contraire, ils occupent souvent des emplois différents ;

6) l’immigration de travailleurs hautement qualifiés est celle qui a le plus d’impact économique.

Dans ce débat sur l’immigration et l’économie, le PQ prétend d’abord qu’une hausse de l’immigration ne permet pas de remédier à une pénurie de main-d’œuvre sur l’ensemble de l’économie.

Cette affirmation est exacte.

De façon générale, l’immigration peut remédier à une pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs. Dans une étude qui sera bientôt publiée, Pierre Fortin démontre toutefois que l’immigration n’est pas une solution pour régler une pénurie de main-d’œuvre sur l’ensemble de l’économie, en se basant sur les économies du « G9 » (G7, Corée du Sud et Espagne). L’effet « le plus probable » : une hausse légère du taux de postes vacants. Parce que les nouveaux immigrants font augmenter la demande de main-d’œuvre dans le reste de l’économie.

Ensuite, le PQ affirme qu’une hausse de l’immigration n’entraîne pas de hausse du niveau de vie global (le PIB par habitant).

La réponse à cette question est plus complexe, et varie selon les études économiques que vous lisez.

Dans une étude publiée en 2015, trois économistes ont analysé l’impact du taux d’immigration dans 22 pays de l’OCDE entre 1986 et 2006. Leur conclusion : l’immigration a un effet positif, mais modeste sur le PIB par habitant.

L’économiste québécois Pierre Fortin a fait un exercice similaire pour 22 pays entre 1989 et 2019. Il arrive à la conclusion contraire : une hausse de l’immigration n’entraîne pas une hausse du PIB par personne. Si les immigrants ont des emplois faiblement qualifiés, ça pourrait même entraîner une légère baisse du PIB par personne.

Bref, ce n’est pas simple.

Que disent les économistes sur le seuil ?

Les économistes que le PQ cite pour justifier sa proposition de seuil de 35 000 immigrants permanents n’arrivent pas à la même conclusion que lui sur le seuil.

Pour le Québec, Pierre Fortin parle de conserver un seuil annuel entre 50 000 et 60 000 immigrants permanents.

Le PQ cite aussi souvent l’étude publiée récemment par les économistes de la Banque Nationale sur le « piège démographique » du Canada. Ils estiment que l’immigration totale (nouveaux immigrants permanents et temporaires) est trop élevée au Canada, qui devrait accueillir entre 300 000 et 500 000 nouveaux immigrants par année, ce qui représenterait jusqu’à 110 000 immigrants pour le Québec.

Les économistes de la Banque Nationale ne plaident pas spécifiquement pour une réduction de l’immigration permanente au Québec. Ils recommandent plutôt « la formation d’un comité d’experts non partisans qui émettra ses recommandations aux politiciens sur le chiffre [d’immigration totale] ». Contrairement à l’immigration permanente, l’immigration temporaire n’a pas de seuil actuellement. « Cibler uniquement les immigrants permanents n’est pas suffisant et nous devons dépolitiser la politique d’immigration », m’écrit Stéfane Marion, économiste en chef de la Banque Nationale.

Tous les économistes ne partagent pas l’avis de la Banque Nationale. L’économiste en chef du Mouvement Desjardins, Jimmy Jean, estime que réduire trop fortement l’immigration pour atténuer la crise du logement serait une erreur6.

Réduire à 35 000 n’est pas justifié

D’où vient le chiffre de 35 000 immigrants permanents du PQ ? « C’est le chiffre [au Québec] au début des années 2000. Il n’y avait pas de crise du logement, le français était stable. C’est un chiffre d’une époque où il y avait un certain équilibre », disait Paul St-Pierre Plamondon il y a deux semaines à RDI. Le PQ utilise aussi un troisième facteur pour déterminer la capacité d’accueil : la capacité à fournir des services publics. « On souhaite que l’immigration soit une expérience réussie, dit le député péquiste Pascal Bérubé en entrevue. Ça implique de dire la vérité : il y a un seuil au-delà duquel on ne pourra pas accueillir correctement. »

Pour le français, les faits contredisent l’argumentaire du PQ sur son seuil du début des années 2000 : le français est davantage populaire chez les immigrants aujourd’hui qu’en 2001. Les immigrants sont plus nombreux que jamais à parler français (de 76 % en 2001 à 81 % en 2021), à avoir le français comme première langue officielle parlée (de 55 % à 63 %), comme langue parlée le plus souvent à la maison (de 34 % à 43 %) et comme langue maternelle (de 20 % à 25 %).

Pour le logement, on est effectivement en pleine crise, mais le discours du PQ manque de nuances. Le taux d’inoccupation des logements au Québec est le même (1,3 %) en 2023 qu’en 2003, selon la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL). Une nouvelle hausse de l’immigration « pourrait contribuer davantage à des déséquilibres sur le marché du logement », selon une étude économique de la Banque du Canada7, mais les nouveaux immigrants n’ont pas tous les mêmes besoins en logement. Les immigrants temporaires en attente d’un statut permanent occupent déjà un logement, les étudiants étrangers sont souvent en colocation, les 36 000 personnes en attente d’un regroupement familial n’auraient pour la plupart pas besoin d’un logement supplémentaire. La crise du logement est plus aiguë dans plusieurs régions, alors que beaucoup d’immigrants s’installent à Montréal.

Dernière remarque sur le seuil du PQ : on accueillait 35 000 immigrants permanents en 2003 alors qu’on était 7,5 millions de Québécois. La population est maintenant de 9 millions. Si le PQ veut prendre le ratio immigrants/population totale de 2003, son seuil devrait être à 42 000 immigrants permanents.

« Il faut être capable de débattre sur des prémisses qui sont vraies », a dit Paul St-Pierre Plamondon à RDI.

Justement : si on regarde tous les faits de plus près, pas juste ceux qui font notre affaire, il n’y a aucune raison valable de diminuer les seuils d’immigration permanente au Québec.

1. Consultez l’étude réalisée par l’OCDE (en anglais)

2 . The Economic and Fiscal Consequences of Immigration. National Academies of Sciences, Engineering, and Medicine. 2017.

3. Consultez l’étude réalisée par le professeur George J. Borjas (en anglais) 4. Consultez le rapport de l’Institut du Québec 5. Lisez « De combien d’immigrants le Québec a-t-il besoin ? » 6. Lisez « Immigration : une baisse trop grande serait une erreur, dit l’économiste en chef de Desjardins » 7. Consultez l’étude réalisée par la Banque du Canada Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue