La question de la crise du logement occupe nos esprits depuis déjà plusieurs mois, et depuis encore plus longtemps pour ceux et celles qui peinent à trouver un quatre et demi abordable dans la région métropolitaine. Le logement fait désormais partie des dossiers incontournables pour tous les ordres de gouvernance, du municipal au fédéral en passant par Québec.

C’est vrai que cette question est non seulement capitale, mais éminemment préoccupante. Il faudra inévitablement densifier nos villes, grandes et petites, comme je l’écrivais récemment1. Il faudra faire preuve d’imagination et de sensibilité. Considérer toutes les clientèles qui doivent se loger, et ce, souvent avec des besoins particuliers, des aînées aux victimes de violence conjugale. Se questionner sur la pression que l’arrivée massive d’immigrants crée sur le stock de logements. S’interroger sur les rapports de force qu’exercent certaines corporations propriétaires de logements multiples. Bref, le logement fait désormais partie des sujets majeurs.

La question nous aura aussi révélé l’existence de la ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, que certains petits comiques ont rebaptisée ministre du Courtage immobilier, son ancien métier.

Elle s’est entre autres fait remarquer avec l’affaire des logements consacrés aux femmes victimes de violence conjugale. Cette ministre d’un gouvernement qui propose sans vergogne un pont à 2,75 milliards pour deux voies trouvait qu’à « 900 000 $ la porte », le coût proposé par les associations de maisons d’hébergement était « excessif »2.

Parler de portes pour qualifier des femmes menacées dans leur intégrité physique n’était pas la plus belle marque de sensibilité, et témoignait d’une vile vision marchande de la notion de logement.

Après cette gaffe, n’importe qui se serait excusé et aurait soigné en urgence ses compétences humanistes. Mais non ! Mme Duranceau s’est pointée la semaine suivante à l’annonce de 763 nouveaux logements sociaux en chaussures Louboutin, ce qui a soulevé l’ironie3.

À 1250 $ la paire, l’emblématique escarpin à semelle rouge, le préféré des animatrices et actrices françaises et de Taylor Swift, hurle à la face des citoyens : « Je suis riche et je vous piétine de mes talons aiguilles ! » La Loubs est aussi appropriée pour l’inauguration d’un chantier social que l’espadrille lors de l’accueil d’un PM français en visite.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE X DE FRANCE-ÉLAINE DURANCEAU

La ministre France-Élaine Duranceau (troisième à gauche) portait des Louboutin lors d’une annonce de 763 nouveaux logements sociaux.

L’histoire de la ministre Duranceau, de ses portes et de ses pompes, pourrait n’être qu’anecdotique. Elle ne l’est pas. Elle est éclairante à bien des égards, sur la politique et la société québécoise.

D’abord, à propos de la crise du logement.

Tout le monde vient de finir par allumer. Le droit à un logement décent est fondamental. Mais tous ne manient pas cet enjeu avec la même délicatesse. Pour certains, c’est une manière de marquer des points politiques. Un logement est une PORTE, plutôt qu’un toit…

Le chef intérimaire du Parti libéral du Québec a demandé au premier ministre le prix moyen d’un quatre et demi à Montréal. M. Legault a esquivé la flamboyante question et évité le piège tendu. Car le prix est complexe et multifactoriel. Il dépend de l’âge du logement, de sa localisation, de sa nature. La question de M. Tanguay dissimulait surtout le fait que dorénavant, il faut souvent modifier son mode de vie : s’exiler loin du centre ou, parfois, accepter la colocation à 38 ans. Et une solution globale concerne tous les ordres de gouvernement, pas que le provincial.

Le cas Duranceau parle aussi de double standard.

Les femmes et les hommes politiques ne sont pas soumis aux mêmes impératifs vestimentaires. Parlez-en à Pauline Marois et à Catherine Dorion, qui, pour des raisons opposées, ont subi des remarques acerbes. Les politiciennes doivent rester dans le moule, être discrètes et neutres. Avec ses Louboutin, la ministre étale sa réussite financière. Peu importe que ses collègues masculins flashent leur Rolex, c’est la femme qu’on jugera. Sur ce point, la ministre a subi le sort injuste qu’on réserve encore aux femmes politiques.

Ça parle aussi de richesse.

Les Louboutin de base coûtent le prix plancher d’un quatre et demi. Quel hasard ! Qu’elle chausse des escarpins de luxe n’est pas de nos affaires, mais des siennes. N’empêche, ça révèle aussi notre étrange rapport à la richesse, au Québec.

Exposer sa richesse est une transgression de classe, un désaveu : notre relation à l’abondance est encore historiquement récente, et il reste de bon ton de se méfier de la réussite financière. Mme Duranceau n’a visiblement pas assimilé le code. Le Diable s’habille en Prada, mais au Québec, il chausse des Loubs…

Cette anecdote parle aussi d’incompétence politique.

La ministre n’a pas beaucoup de sensibilité, et la question du logement a le potentiel de réunir à la même adresse tous les malheurs du monde. Un gouvernement sincèrement préoccupé par la décence aurait confié ce dossier à quelqu’un de bienveillant et plus aguerri. Partout, la question du logement est une bombe à retardement qui éclate en ce moment au visage de la société.

Il y a une dizaine d’années, en plein débat national et féministe sur l’utilité ou pas d’avoir des quotas de femmes à l’Assemblée nationale, certaines militantes disaient, avec un brin de mauvaise foi : « Le jour où il y aura des politiciennes aussi incompétentes que certains de leurs collègues masculins, l’égalité sera atteinte. »

Encore un pas en Louboutin et nous y sommes !

1. Lisez la chronique « Verticalités » 2. Lisez l’article « Maison pour femmes victimes de violence conjugale : à 900 000 $ “la porte”, le coût est “excessif”, juge Duranceau » 3. Lisez l’article « Logement social : la ministre Duranceau en Louboutin pour une annonce sociale » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue