Depuis janvier, neuf assassinats de femmes ont fait la manchette au Québec. On aimerait entendre des hommes s’exprimer publiquement sur ce fléau. Or, ceux qu’on entend le plus sont des influenceurs masculinistes qui portent un discours souvent réactionnaire et toxique. Où sont les hommes qui vont bien ? Qui ne se sentent pas menacés par des femmes fortes et indépendantes ? Qui voient le couple comme un partenariat plutôt qu’une lutte de pouvoir ? Qui ne craignent pas d’exprimer leurs émotions ? J’ai eu envie d’en discuter avec Sarah-Maude Beauchesne et Nicola Morel, coauteurs de la série Bellefleur, qui prendra l’affiche à la mi-mai sur la plateforme Crave, et qui parle d’amitié et de masculinité positive.

Des modèles masculins archaïques et TRÈS stéréotypés.

C’est ce que Sarah-Maude Beauchesne et Nicola Morel ont observé en regardant des séries télé durant la pandémie.

« J’avais de la difficulté à me retrouver dans les modèles que je voyais, lance Nicola Morel. Où sont les gars qui font partie de mon cercle d’amis avec qui j’ai des belles conversations ? Les gars qui sont de bons pères et qui essaient de faire du mieux qu’ils peuvent ? »

« On se demandait où étaient les hommes qui nous inspirent au quotidien, renchérit Sarah-Maude Beauchesne. Ce qu’on voyait n’était vraiment pas inspirant. »

PHOTO FOURNIE PAR BELL MEDIA

Sarah-Maude Beauchesne et Marc-André Grondin, dans Bellefleur

C’est à partir de ce constat que le couple a décidé d’écrire une série mettant en scène des personnages masculins qui ressemblent davantage à ceux qu’ils côtoient au quotidien. En se disant que la fiction pouvait être un formidable véhicule pour mettre de l’avant un discours positif sur la masculinité.

Des modèles unidimensionnels

« Les hommes de Bellefleur ne sont pas parfaits, mais ils ne sont pas imaginaires non plus, insiste Sarah-Maude, qui tient un rôle dans la série. Ils existent dans la vraie vie. »

« Ils ne sont pas dépassés lorsqu’ils doivent faire le souper ou faire du lavage, ajoute Nicola. Dans les séries, les hommes sont souvent des caricatures. On les montre avec la fumée qui leur sort par les oreilles parce qu’ils doivent faire cuire un spaghetti ou s’occuper des enfants. On dirait qu’on raconte tout le temps la même histoire : c’est soit un homme rose, soit un mâle alpha, soit un superhéros. Il y a très peu de choix pour se construire comme homme dans notre société. »

Après des décennies de féminisme et plusieurs générations d’hommes élevés par des femmes féministes, le couple se désole que les hommes aient encore si peu accès à leurs émotions. Or cette incapacité à exprimer ce qu’ils ressentent est justement une des sources de la violence.

« Mon champ lexical d’émotion est infini, avance Sarah-Maude qui a publié le récit Faire la romance l’an dernier. Si je vis une situation dans laquelle je ne me sens pas bien, je sais exactement comment la nommer. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Sarah-Maude Beauchesne

Nous sommes très valorisées, nous, les femmes, dans notre émotivité. Dans les couples hétérosexuels, on vit des frustrations face à des hommes incapables de dire comment ils se sentent.

Sarah-Maude Beauchesne

« Je n’ai pas le même coffre à outils, reconnaît Nicola, producteur chez Trio Orange depuis une dizaine d’années. Moi, ça me prend une heure à nommer l’émotion que je ressens parce que c’est mélangé dans ma tête. »

« Pendant longtemps, poursuit-il, la seule émotion qui était valorisée chez les hommes, c’était la colère. T’es stressé ? T’es triste ? Tu vis une situation de couple difficile ? T’es en colère… »

Avec justesse, Sarah-Maude Beauchesne regrette que la principale source de soutien émotif soit le couple. Ce qui explique que lorsque le couple ne va plus, tout s’effondre.

« Je pense que les hommes doivent apprendre à s’ouvrir à leurs amis pour trouver du support, pour être capables de nommer des choses », dit-elle.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Nicola Morel

Il faut être capables, quand on est entre gars, de sortir de l’anecdote et se parler. Il faut prendre conscience que ça ne peut pas toujours être vers ta blonde que tu te tournes quand ça ne va pas. Il faut trouver d’autres moyens de s’exprimer.

Nicola Morel

S’exprimer sur la place publique pose d’autres problèmes, selon l’auteur. Ce qui pourrait expliquer, selon lui, le silence parfois assourdissant des hommes sur les enjeux de violence, par exemple. « Il y a la crainte pour les hommes de parler à la place des femmes sur des sujets qui les concernent d’abord », explique-t-il.

Faire œuvre utile

Le couple d’auteurs espère que leur série pousse les hommes hors de leur zone de confort.

« Le modèle proposé par les masculinistes est réconfortant, reconnaît Sarah-Maude. On ne peut pas complètement les blâmer parce que ce modèle-là, on l’a construit en société et il a existé pendant très longtemps. »

Avec Bellefleur, il y a une volonté de proposer des modèles masculins nuancés. Le couple d’auteurs ne cache pas sa volonté d’éduquer, de conscientiser. Oui, c’est de la fiction. Mais c’est aussi une prise de parole, comme pas mal tous les projets de Sarah-Maude Beauchesne. « Bellefleur, c’est en quelque sorte une invitation au dialogue dans un contexte où le dialogue est quasi impossible entre des visions diamétralement opposées de la masculinité, explique l’autrice. Au lieu de se pogner sur les réseaux sociaux et de faire escalader les choses, pourquoi ne pas essayer la poésie et la beauté ? C’est le seul moyen efficace que je vois en ce moment. »

Lisez « Bellefleur : place à la “masculinité positive” » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue