Gaétan Frigon tourne la page. La dernière de sa longue carrière, celle qui clôt le chapitre mouvementé de son aventure chez Publipage.

L’homme d’affaires de 84 ans et sa conjointe, Hélène Héroux, cofondateurs et actionnaires majoritaires de la firme spécialisée dans le marketing numérique et les solutions commerciales aux entreprises, ont signé le 5 avril une lettre d’entente pour son acquisition par ATW Tech.

« On remplit beaucoup de nos objectifs, le premier étant d’avoir donné de la valeur à la compagnie et d’être capable de la vendre, et surtout de garder le contrôle au Québec », se réjouit le coloré entrepreneur.

La transaction doit être conclue au plus tard le 1er juillet 2024 pour un prix de base de 7,5 millions de dollars, constitué d’un montant comptant de 3 millions, de 2,5 millions en actions d’ATW, et de 2 millions en débentures convertibles.

La somme pourrait atteindre 10,5 millions si certains objectifs sont atteints.

« En fait, Hélène et moi deviendrons le plus important actionnaire d’ATW avec 16 % des actions », commente Gaétan Frigon, qui avait été membre du premier quintette d’investisseurs de l’émission Dans l’œil du dragon, de 2012 à 2014.

Une fois l’achat finalisé, Publipage va être officiellement une division d’ATW, qui détient déjà trois ou quatre autres compagnies. Mais Publipage va être le cœur de toute l’opération. À elle seule, elle est à peu près trois fois plus grosse que les autres divisions réunies.

Gaétan Frigon

Présidente de Publipage, Hélène Héroux demeurera à la tête de la nouvelle division.

Publipage compte 35 employés, « et on est tous en télétravail », souligne la femme de 66 ans.

ATW Tech, une petite entreprise publique propriétaire de diverses plateformes technologiques de soutien aux entreprises, emploie pour sa part une quinzaine de personnes.

« Depuis un certain temps, ATW était devenue une coquille, qui attendait de trouver une occasion d’achat pour se relancer, souligne Gaétan Frigon. Ils l’ont trouvée en Publipage. »

« Quand je dis une coquille, c’est que ça ne bougeait pas, précise-t-il. Les actions étaient très basses, il y avait peu de transactions. »

La recette du succès

Après une carrière à l’enseigne du marketing au sein de diverses grandes entreprises, Gaétan Frigon avait obtenu avec Hélène Héroux les droits pour la publication d’innovantes fiches-cuisine qui reprenaient les recettes de la populaire émission Bon appétit.

Les recettes ont été substantielles.

« Ça a été notre entrée dans le domaine de l’entrepreneuriat et ça nous a permis d’arrêter de travailler pour les autres et de travailler pour nous autres », exprime l’entrepreneur.

« Et en 1996, lorsque le projet Bon appétit s’est terminé, on a cherché autre chose, et par hasard, on a découvert les pages jaunes, que tout le monde négligeait. »

Ils ont obtenu une certification de représentant marketing et ont fondé, sous le nom de Publipage, une agence de placement publicitaire pour les annuaires téléphoniques commerciaux.

Gaétan Frigon en a confié la présidence à Hélène Héroux quand il a accepté un mandat de cinq ans à la tête de la SAQ, en 1998.

En 2000, le couple a couronné une série de transactions avec l’acquisition de Bell Actimedia Solutions.

« On l’a acheté pour une couple de millions avec l’aide du Fonds de solidarité et ça nous a mis dans ce que j’appellerais les ligues majeures, poursuit l’entrepreneur. On avait alors un chiffre d’affaires d’environ 12 millions. »

Hauts et bas

Publipage a atteint l’apogée de sa trajectoire en 2011 avec un chiffre d’affaires de 28 millions, des bénéfices de 5,8 millions et des bureaux à Québec, Montréal, Toronto, Calgary et Vancouver.

« Hélène et moi étions les deux seuls actionnaires, alors on peut dire que c’était payant et on faisait la belle vie. Mais on savait d’ores et déjà que les pages jaunes, avec l’arrivée de l’internet, mangeraient probablement une grosse claque. »

Publipage a créé dans le courant des années 2010 deux plateformes de marketing sur l’internet, d’abord Publitrac pour le marketing relationnel, puis Localtrac pour le marketing local. « On bâtissait là-dedans, mais c’était difficile de dépasser 2 à 3 millions de dollars de revenus », relate Gaétan Frigon.

Une remontée

Au début des années 2020, Publipage a envisagé une fusion avec l’entreprise québécoise Union, projet avorté quand nos deux entrepreneurs ont constaté l’état de ses finances. Ils ont plutôt acquis pour 2 millions une de ses filiales, Lanla, « qui était bien connue au Québec ».

Lanla jouissait d’une expertise d’une vingtaine d’années dans les programmes de « clients mystère », ces faux clients qui testent discrètement les services d’une entreprise pour en faire rapport à ses propriétaires.

« Avec Lanla, on a un portefeuille complet de programmes et d’outils qui se sont spécialisés en mesure de l’expérience client, de l’expérience employé et de l’image de marque », décrit la présidente.

Tous ces programmes et outils viennent d’être réunis sur une plateforme unique nommée Hexia, « qui fait notre force et qui nous rend uniques, et qu’on lance d’ailleurs cette semaine », informe-t-elle.

« D’ici un an, les revenus vont probablement atteindre 6 millions de dollars, pronostique son conjoint. Et c’est ce qui a attiré ATW, qui avait vu notre progression, notre capacité de virer une compagnie boutte pour boutte, comme on dit en français, de faire d’un perdant un gagnant à long terme. »

Les dirigeants d’ATW ne s’y sont pas trompés : l’entente stipule que Hélène Héroux doit demeurer en poste pendant deux ans.

« Pour nous, tout est réuni pour qu’on puisse quand même songer à une demi-retraite », conclut son partenaire.

Il n’y aura pas de ralentissement pour Hélène Héroux au cours des deux prochaines années, cependant. « Non, mais quand elle travaille trop tard le soir, je la chicane », réplique Gaétan Frigon, un peu fripon. L’homme de 84 ans n’a rien perdu de sa faconde.

« J’ai appris il y a quelques années à lire mon âge à l’envers », explique-t-il.