Réduire trop fortement l’immigration pour atténuer la crise du logement serait une erreur, prévient l’économiste en chef du Mouvement Desjardins, Jimmy Jean. Un tel remède pourrait tout simplement nuire au patient, selon lui.

« Si on se contente de réduire les niveaux, tout ce qui va arriver, c’est qu’il va y avoir moins de chialage, si on veut, mais on ne va pas régler le quart de l’enjeu », tranche-t-il lors d’une conférence sur les prévisions économiques 2024, jeudi, organisée par CFA Montréal.

Le problème n’est pas tant qu’il y a un afflux d’immigrants supérieur à la capacité d’accueil, mais qu’il n’y a pas suffisamment de nouveaux arrivants qui vont travailler dans le secteur de la construction, qui manque de bras, souligne-t-il. « Il y a un gros problème d’arrimage. »

Les débats sur les seuils d’immigration sont à l’avant-scène à travers le Canada, dans un contexte d’offre insuffisante de logements. « Je m’inquiète que le pendule aille trop de l’autre côté », confie M. Jean en entrevue en marge de son allocution.

« Je pense qu’on a au Canada et au Québec un consensus très fort historiquement sur les bienfaits de l’immigration et ça a été documenté par la recherche économique. Donc, il y a une raison pourquoi on a cette stratégie-là en place », ajoute-t-il.

Il évoque les plans d’investissements d’Hydro-Québec, qui aura besoin de 35 000 travailleurs de la construction, pour démontrer l’ampleur des besoins.

« Il faut aussi réfléchir à toutes nos ambitions parce que tôt ou tard, la question va, par défaut, se représenter. Faire moins, ce n’est pas nécessairement la solution, c’est vraiment de faire mieux. »

M. Jean note que le débat est plus équilibré au Canada. « On n’est pas dans le Donald Trump qui dit que l’immigration, ça empoisonne le sang de la nation », nuance-t-il.

Aux professionnels de la finance venus l’écouter, M. Jean a souligné que, malgré les défis d’arrimage et d’accès au logement, l’immigration avait eu une contribution positive sur l’économie en 2023. « Ce qui a empêché d’avoir une récession Canada, c’est l’immigration. »

Il juge aussi que l’automatisation n’est pas une solution miracle à la rareté de main-d’œuvre. « Il y a un argument théorique de dire : “ça va forcer les entreprises à investir parce que tout d’un coup, il n’y aura plus de main-d’œuvre”, mais c’est plus facile à dire qu’à faire. Ce n’est pas tous les secteurs qui sont propices à des investissements en automatisation. »

Prévisions économiques

M. Jean a fait son plaidoyer lors d’une présentation visant à discuter des prévisions économiques et boursières pour l’année 2024. Il était accompagné du directeur général du BlackRock Investment Institute, Jean Boivin.

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Jean Boivin

M. Boivin croit que les marchés boursiers vont poursuivre leur élan au cours des premiers mois de l’année, tandis que les investisseurs sont enthousiastes à l’idée d’éventuelles baisses des taux.

Il croit cependant que l’inflation persistera plus qu’anticipé et que les investisseurs pourraient être surpris de ne pas avoir autant de baisses de taux qu’ils ne l’auraient souhaité. « Il faut aussi être prêt à changer de cap assez rapidement peut-être dans la deuxième moitié de l’année, alors que les pressions inflationnistes vont devenir plus claires à ce moment-là », suggère-t-il.

Pour sa part, M. Jean croit que la faiblesse de l’économie canadienne va forcer la main de la Banque du Canada, qui devra baisser les taux avant la Réserve fédérale (Fed) aux États-Unis.

Il prévoit que la première baisse de taux aura lieu au mois d’avril au Canada. La Fed suivrait quelque mois plus tard vers l’été. « On pense que les marchés sont un petit peu emballés avec l’histoire de mars. »