Les marchés et les banques centrales ont adopté la thèse très optimiste d’un atterrissage en douceur et d’une désinflation immaculée, soutient l’ancien sous-gouverneur de la Banque du Canada Jean Boivin, aujourd’hui responsable de la recherche du géant mondial de la gestion d’actifs BlackRock.

« Il y a beaucoup d’espace pour que les marchés s’emballent sur la suite des choses qui va sembler être un atterrissage en douceur pour une bonne partie de cette année », a dit Jean Boivin jeudi lors d’une allocution prononcée durant un évènement organisé par l’organisme CFA Montréal.

« Il est très, très facile de voir l’inflation à 2 % au cours des prochains mois aux États-Unis. On va entendre des banques centrales crier victoire sur l’inflation. Cependant, à mesure que l’année va avancer, il est aussi facile de voir que l’inflation ne restera pas à 2 % et qu’il y aura un rebond », a-t-il précisé devant plus de 600 personnes du milieu des affaires rassemblées pour l’occasion au centre-ville de Montréal.

« Si on veut croire à un atterrissage en douceur qui perdure dans le temps et à une inflation qui demeure à 2 %, il faut aussi croire à un changement marqué sur le marché du travail avec une certaine hausse du taux de chômage et une croissance des salaires à la baisse de façon importante. C’est beaucoup demander en quelques mois », affirme Jean Boivin.

Les banques centrales baisseront les taux, ce qui ajoutera à l’engouement des marchés en première moitié d’année, ajoute-t-il. Mais au lieu de six ou huit baisses de taux comme certains l’anticipent, Jean Boivin prévoit seulement trois baisses aux États-Unis cette année.

Baisses de taux à venir

Son vis-à-vis sur le panel, l’économiste en chef et stratège du Mouvement Desjardins Jimmy Jean, a de son côté présenté un scénario de base dans lequel il y aurait 11 baisses de taux au pays d’ici la fin de l’an prochain (six cette année et cinq en 2025). Ce scénario ramènerait le taux directeur de la Banque du Canada à 2,25 %.

Le processus de baisses de taux va, selon Jimmy Jean, commencer en avril au Canada et un peu plus tard, en juin ou juillet, aux États-Unis.

Le risque, si on ne réduit pas assez rapidement le taux directeur, est de provoquer une récession plus importante au pays, dit-il.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

L’économiste en chef et stratège du Mouvement Desjardins, Jimmy Jean

La politique monétaire agit aussi sur l’offre. Compte tenu des besoins en logements et en investissements climatiques, peut-on se permettre d’éroder l’offre davantage qu’elle l’est déjà ? Il y a un risque de se tirer dans le pied.

Jimmy Jean, économiste en chef et stratège du Mouvement Desjardins

« La Banque du Canada n’a pas nécessairement une marge de manœuvre pour attendre avant de baisser son taux directeur. »

Jimmy Jean a par ailleurs peu d’attentes pour le marché boursier. Ses prévisions de rendement sont plutôt modestes. Si les actions canadiennes ont généré près de 12 % de rendement en 2023, il anticipe un maigre rendement de 1,7 % cette année. Après avoir enregistré un rendement de 26 % l’an passé, les actions américaines ne rapporteront que 2,5 % cette année, selon le stratège de Desjardins.

Pour Jean Boivin, 2024 sera une année qui favorisera la gestion active de portefeuille plutôt qu’une stratégie d’investissement de type buy and hold.

L’année nécessitera des ajustements de portefeuille plus fréquents, selon l’ex-sous-ministre délégué des Finances et ancien représentant du Canada au G7 et au G20. « S’il y a un espoir de se protéger contre la volatilité, c’est en étant plus agile. Il ne faut pas s’attendre à ce que la construction de portefeuille avec une allocation d’obligations fasse le travail de protection habituelle. »

Durant la période de questions organisée en marge des présentations des panélistes, le modérateur a demandé aux deux experts invités si le contexte actuel s’apparente à une bulle technologique comme celle de l’an 2000. Jimmy Jean a répondu « oui », alors que Jean Boivin a répondu « peut-être ».