Les placements privés, très populaires auprès des grands investisseurs institutionnels, sont interdits au fonds souverain qui fait fructifier la richesse pétrolière de la Norvège au bénéfice des générations futures.

Pas question, a encore répondu cette année son actionnaire gouvernemental aux dirigeants du fonds qui voudraient bien élargir leur horizon de placement.

Le fonds norvégien, un des plus gros du monde avec un actif de 1500 milliards d’euros (près de 2200 milliards de dollars), aurait pourtant les moyens de miser sur ce type de placements. Les private equity sont des investissements peu liquides et qui exigent de la patience de la part des investisseurs avant d’être rentabilisés. Le fonds ne verse pas d’argent directement aux retraités, mais plutôt au Trésor public, et son horizon de placement est aussi long que la durée prévue des réserves de pétrole, soit entre 30 et 50 ans.

La Norvège tient à ce que les 1500 milliards d’euros du fonds soient investis uniquement dans les actions d’entreprises cotées en Bourse et les obligations. Les placements privés manquent de transparence et ils sont risqués, complexes et plus coûteux à gérer, selon le gouvernement, qui préfère la simplicité et la transparence des marchés organisés.

Cette simplicité l’a bien servi jusqu’à maintenant. Le fonds, qui est entièrement investi à l’extérieur de la Norvège, affiche un rendement de 16,1 % en 2023.

Du rendement, c’est ce qu’on attend d’abord et avant tout de ceux qui gèrent notre argent, comme de nos caisses de retraite, mais la liste des attentes s’allonge et se complexifie.

L’œuf ou la poule

Les grandes caisses de retraite sont sous pression pour que leurs investissements respectent les valeurs environnementales, sociales et de gouvernance, et elles doivent de plus en plus rendre compte de leur progrès à cet égard. C’est tant mieux, parce qu’elles ont le pouvoir d’influencer les choix des entreprises dans lesquelles elles investissent.

Au Canada, on reproche maintenant à ceux qui font fructifier les retraites des travailleurs de ne pas investir assez dans l’économie canadienne, pendant qu’elles se font concurrence sur les marchés étrangers pour mettre la main sur les meilleures occasions.

L’investissement des caisses de retraite canadiennes dans les entreprises cotées en Bourse au Canada est passé de 28 % à 4 % de leur actif total au cours des 20 dernières années. En plus d’investir en actions, les caisses de retraite canadiennes peuvent investir dans les infrastructures et autres placements moins liquides comme l’immobilier. Tout comptabilisé, c’est environ 10 % de leur actif total qui est investi au Canada.

C’est trop peu, ont dénoncé publiquement un nombre impressionnant de dirigeants et d’anciens dirigeants de grandes entreprises, dont Henri-Paul Rousseau, qui, incidemment, était président de la Caisse de dépôt en 2006 quand elle a investi 2,4 milliards dans l’aéroport Heathrow de Londres, le plus important investissement étranger de son histoire.

Les arguments de ces gros canons de l’économie canadienne ont convaincu Ottawa qu’il s’agit d’un problème et qu’il faut s’y attaquer⁠1.

Ce n’est pas un problème pour tout le monde, du moins pas pour les bénéficiaires des caisses de retraite. Le système de pensions du Canada fonctionne bien et fait l’envie de bien des pays. Il se classe année après année en tête du classement des meilleurs régimes de retraite au monde de la firme Mercer⁠2.

Au Canada comme en Norvège, l’investissement à l’étranger est une nécessité pour les grands investisseurs à la recherche des meilleurs rendements. Le marché boursier canadien au complet compte pour moins de 3 % de la capitalisation boursière mondiale.

Depuis les 10 dernières années, le rendement de la Bourse américaine (S&P 500) a été deux fois plus élevé que celui de la Bourse canadienne (TSX 60).

L’économie canadienne a depuis longtemps un problème de sous-investissement et de faible productivité. Avant de forcer les caisses de retraite à investir davantage au Canada, il faudrait savoir si l’économie se porte mal parce que les caisses de retraite n’investissent pas assez ou si elles n’investissent pas au Canada parce que l’économie est moins performante.

C’est l’ancien gouverneur de la Banque du Canada Stephen Poloz qui devra répondre à cette question. Il a été mandaté par la ministre des Finances, Chrystia Freeland, pour tenter de trouver, avec les dirigeants des caisses de retraite, des façons d’augmenter leurs investissements. Il en connaît déjà un bout sur la question. S’il y a une réponse, c’est sûrement la bonne personne pour la trouver.

1. Lisez une lettre envoyée au gouvernement fédéral 2. Consultez le classement de Mercer (en anglais)