J’interrogeais récemment une amie revenue à Montréal après un long séjour professionnel à l’étranger. Pivoter d’une mégalopole à Montréal n’est pas simple – même avec l’appel des racines familiales. Elle me disait trouver la ville étroite et les sujets de discussion répétitifs.

Nos débats interminables sur la langue, l’immigration et la santé, lui ai-je dit, seront toujours plus intéressants que l’obsession des Britanniques pour la famille royale ou les reportages en boucle sur Donald Trump dans les médias américains.

Je regrette de ne pas lui avoir suggéré de suivre les audiences de la Commission sur l’ingérence étrangère dirigée par la juge Marie-Josée Hogue. Une rare fenêtre sur des enjeux de sécurité nationale et le ballet entre les élus et les fonctionnaires chargés de les informer et les conseiller.

Cette commission a vu le jour à la suite de la divulgation de certains documents secrets provenant des services de renseignements canadiens alléguant que des pays étrangers avaient tenté d’influencer certains résultats durant les élections fédérales de 2019 et de 2021 remportées par les libéraux.

La frénésie médiatique provoquée par cette fuite donnait l’impression qu’une majorité de Canadiens avaient été hypnotisés avant d’aller voter. Le gouvernement Trudeau, dans un effort pour calmer la tempête, a recruté l’ex-gouverneur général David Johnston pour examiner l’ampleur des manœuvres étrangères. La bonhomie de M. Johnston ne lui a pas épargné les critiques des partis de l’opposition sur sa proximité avec M. Trudeau, provoquant sa démission et forçant le premier ministre à donner son aval à cette commission, une solution qu’il aurait pu s’épargner avec un choix plus judicieux en début de course.

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La juge Marie-Josée Hogue a dirigé la Commission sur l’ingérence étrangère.

De nombreux élus, du personnel politique et des hauts fonctionnaires ont comparu devant la juge Hogue ces dernières semaines. Parmi ceux-ci, David Vigneault, l’équivalent canadien de « M » (le patron de James Bond dans les romans d’Ian Fleming). Peu connu du public, M. Vigneault est responsable du Service canadien du renseignement de sécurité. Il a confirmé que des pays étrangers intervenaient au Canada en période électorale, allant même jusqu’à tenter d’influencer des assemblées d’investiture pour confirmer le choix d’un candidat pour un parti.

Sans surprise, les politiciens invités à témoigner ont présenté des vues discordantes sur l’impact de ces interventions.

À une extrémité se trouvait Erin O’Toole, le chef du Parti conservateur durant les élections de 2021. Bénéficiant toujours d’un courant de sympathie à la suite d’un discours d’adieu à la Chambre des communes l’an dernier fortement inspiré du Nouveau Testament (« aimez votre adversaire politique, pardonnez le manque de jugement »), M. O’Toole n’allait pas rater l’occasion offerte par cette tribune de suggérer que sa démission aurait pu être évitée.

S’exprimant devant la Commission comme quelqu’un qui avait son propre service de renseignement, il a attribué à cette ingérence étrangère une perte de cinq à neuf sièges pour les conservateurs en 2021. Son intervention rappelle que les conservateurs avaient M. Trudeau dans les câbles en début de campagne électorale en 2021, mais que la performance chancelante de M. O’Toole – plutôt que les agissements d’agents étrangers – leur avait coûté le pouvoir.

Et à l’autre extrémité, le premier ministre Trudeau répondant à l’occasion comme un témoin récalcitrant. Comme quelqu’un qui regretterait de ne pas avoir pu s’éviter un forum public. M. Trudeau a essentiellement affirmé avoir écouté les rapports des services de renseignement et conclu que chacune des tentatives d’influence avait échoué. Que la très grande majorité des interventions étrangères avaient pour but d’avantager les libéraux n’a pas semblé le troubler.

Ce qu’on retient aussi de son témoignage, c’est l’empressement à ne rien faire ou communiquer. Cela contraste avec sa réaction sur l’intervention possible de l’Inde dans l’assassinat d’un Canadien d’origine indienne en Colombie-Britannique en juin 2023. On se rappellera tout l’artifice qu’avait employé M. Trudeau l’automne dernier pour porter des accusations à peine voilées contre le gouvernement indien. On n’en demandait pas tant de sa part pour traiter de l’ingérence étrangère dans notre processus électoral, mais certainement plus qu’un haussement d’épaules.

Les audiences de la Commission auront permis de mettre en lumière le rôle objectif et rationnel de la fonction publique.

Les élus – essentiellement le gouvernement – au bout du compte décident de la marche à suivre. Mais nos services de renseignement leur ont présenté les faits sans exagérer ni banaliser la menace. Il se dégage de ces témoignages un grand professionnalisme que je trouve rassurant.

Dans le mandat qui lui est confié, la juge Hogue doit suggérer des mesures pour contrer l’ingérence étrangère. Il faut espérer qu’elle proposera au gouvernement d’informer le public en temps réel lorsqu’il existera des soupçons de tentative d’ingérence.

Et, mieux encore, d’offrir aux Canadiens des outils pour reconnaître les méthodes empruntées par ceux souhaitant corrompre notre processus électoral. On le fait déjà pour se protéger des arnaques financières – l’inviolabilité de nos institutions démocratiques mérite autant d’attention.

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