Nous reproduisons ici la lettre que le premier ministre François Legault à fait parvenir à son homologue Justin Trudeau dans laquelle il lui demande notamment de freiner l’afflux de demandeurs d’asile.

Monsieur le Premier Ministre,

Je vous écris à propos de la situation préoccupante concernant les demandeurs d’asile. Comme vous le savez, les Québécois forment un peuple accueillant qui a une longue tradition humanitaire. Au fil du temps, nous avons accueilli des réfugiés chiliens, vietnamiens, haïtiens, syriens et plus récemment, des ressortissants ukrainiens que nous continuons d’ailleurs d’accueillir. Nous nous occupons des demandeurs d’asile qui frappent à notre porte avec toute l’humanité qui nous caractérise. Nous les aidons à se trouver un logement, à se nourrir, à bien s’intégrer à notre société en leur donnant accès à des cours de français. Nous les soignons, nous scolarisons leurs enfants. Les Québécois sont très fiers de cela.

Malheureusement, nous sommes tout près du point de rupture en raison du nombre excessif de demandeurs d’asile qui arrivent au Québec mois après mois. La situation est devenue insoutenable.

Ainsi, en 2022, le Québec a pris en charge plus de demandeurs d’asile que tout le reste du Canada réuni. Depuis le début de l’année 2023, le Québec a accueilli près de la moitié de l’ensemble des demandeurs d’asile arrivés au Canada. Sur une base par habitant, le Québec en a accueilli trois fois plus que le reste du Canada. Face à des nations comparables, le Québec figure en haut de la liste de celles qui accueillent le plus de demandeurs d’asile en proportion de sa population. Notre panier de services et notre modèle d’accueil et d’intégration sont enviés.

La fermeture du chemin Roxham, au début de l’année 2023, a permis de ralentir momentanément le flux constant de demandeurs d’asile au Québec. Cependant, les arrivées ont continué de s’accentuer aux aéroports, en provenance d’autres pays. Le nombre de personnes qui arrivent avec un visa de visiteur et déposent une demande d’asile est également en augmentation importante. Seulement en novembre dernier, près de 6000 nouveaux demandeurs d’asile ont été enregistrés au Québec.

Cette situation fait en sorte que durant les 11 premiers mois de 2023, pas moins de 59 735 nouveaux demandeurs d’asile ont été recensés au Québec. Les projections montrent qu’un nombre record de 65 000 demandeurs serait atteint cette année au Québec.

C’est donc dire qu’en deux ans, le Québec aura accueilli plus de 120 000 demandeurs d’asile. Toute proportion gardée, c’est comme si le Canada avait reçu un demi-million de demandeurs d’asile en deux ans. La venue soudaine d’un aussi grand nombre de personnes génère une pression très importante.

Cette pression fait en sorte que les demandeurs d’asile ont du mal à se trouver un toit, ce qui contribue à accentuer la crise du logement. Nombre d’entre eux se retrouvent dans les refuges pour sans-abri, qui débordent. D’autres sont en situation d’itinérance, ce qui aggrave un problème déjà aigu, particulièrement en hiver. À nouveau, les organismes qui accueillent et accompagnent les demandeurs d’asile ne suffisent plus à la tâche et demandent de l’aide, tel que ce fut le cas l’an dernier, au plus fort de la crise du chemin Roxham.

Nos écoles débordent, alors que nous manquons déjà cruellement d’enseignants et de locaux pour accueillir ces milliers d’enfants qui, pour la majorité, ne parlent pas français. Seulement pour l’année scolaire actuelle, nous avons ouvert près de 1150 classes d’accueil, l’équivalent d’une cinquantaine d’écoles primaires, dont une partie non-négligeable pour franciser et fournir l’accompagnement approprié aux enfants des demandeurs d’asile. Afin de subvenir à leurs besoins dans l’attente d’un permis de travail, les demandeurs d’asile reçoivent également une aide financière de dernier recours du Québec. En octobre dernier, quelque 43 200 demandeurs d’asile recevaient 33 millions $. Les demandeurs d’asile constituent maintenant 16 % des prestataires de l’aide de dernier recours.

Considérant les données actuelles qui montrent que les ressortissants mexicains représentent une proportion croissante des demandeurs d’asile arrivant au Québec, la possibilité d’entrer au Canada en provenance du Mexique sans visa explique certainement une partie de l’afflux des demandeurs d’asile. Les aéroports, notamment de Toronto et de Montréal, sont en train de devenir des passoires et il est temps d’agir.

De manière générale, les relâchements sur les politiques de visas présentent des risques d’ouvrir des brèches utilisées par des groupes criminalisés, qui posent de sérieux enjeux de sécurité pour le Québec et le Canada. Le ministre fédéral de la Sécurité publique, Dominic Leblanc, affirmait lui-même qu’il prenait cette menace «très au sérieux».

L’arrivée des demandeurs d’asile au Canada est une responsabilité du gouvernement fédéral. C’est votre gouvernement qui est en charge des frontières et de l’octroi des visas. Vous avez donc la responsabilité de freiner et de diminuer l’afflux des demandeurs d’asile au Canada. Vous avez aussi, comme gouvernement canadien, le devoir et la responsabilité de répartir équitablement les demandeurs d’asile sur l’ensemble du territoire. Le Québec n’est plus en mesure d’accueillir une part disproportionnée de demandeurs d’asile qui entrent au Canada.

Vous avez également la responsabilité de compenser le Québec financièrement. Les Québécois, qui font déjà des efforts extraordinaires pour s’occuper des demandeurs d’asile avec le plus d’humanité possible, ne peuvent pas supporter un fardeau financier complètement disproportionné à l’échelle canadienne. Le Québec s’attend à ce que le gouvernement fédéral lui rembourse les 470 millions $ encourus pour les années 2021 et 2022 et qu’il fasse de même pour les années subséquentes.

Ainsi, je vous demande formellement de :

  • Freiner et diminuer l’afflux de demandeurs d’asile qui entrent au Canada en resserrant la politique canadienne d’octroi des visas ;
  • Répartir équitablement les demandeurs d’asile sur l’ensemble du territoire canadien et en fonction des capacités d’accueil, tel que vous l’avez fait avec des demandeurs d’asile du chemin Roxham. Par exemple, en recommençant à installer des demandeurs dans d’autres provinces par autocar;
  • Fermer toute brèche qui permettrait à des groupes criminels de s’infiltrer au Canada et;
  • Rembourser au Québec les sommes encourues pour l’accueil des demandeurs d’asile.

Il s’agit d’une affaire urgente et de la plus haute importance, qui doit être résolue dans son ensemble. Nous avons l’obligation de traiter avec humanité et dignité les personnes qui cognent à nos portes pour se réfugier chez nous. Cependant, nos ressources ne sont pas infinies et sont étirées au maximum. N’attendons pas que la situation s’aggrave avant d’agir.

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