Le débat est le même, mais l’accueil est différent. De nouveau, François Legault réclame que le Québec reçoive moins de demandeurs d’asile, et plus d’argent pour les aider. Mais cette fois, le gouvernement Trudeau se montre ouvert. Et l’opposition à l’Assemblée nationale ne conteste pas sa démarche.

La réalité a rattrapé tout le monde.

Auparavant, le débat sur l’immigration se limitait au Québec, et il portait sur des valeurs. On en parlait peu au Canada, sauf pour dénoncer le vieux fond prétendument intolérant des francophones.

Or, le logement a tout changé. Désormais, ce sont les économistes et les banquiers qui déplorent l’impact de l’immigration record sur l’accès au logement. Ils ne recourent pas aux arguments identitaires inévitablement subjectifs. Leur logique est mathématique : on accueille plus de gens qu’on ne construit de logements.

Aujourd’hui, tout le pays reconnaît le problème. Voilà pourquoi la nouvelle sortie de M. Legault est mieux accueillie que les précédentes.

D’un point de vue canadien, les demandeurs d’asile ne sont pas la meilleure façon d’aborder cet enjeu.

Il y a une crise migratoire mondiale. La guerre, la pauvreté et le dérèglement climatique poussent des millions d’êtres humains à prendre des risques pour refaire leur vie ailleurs. Comme le rappelle l’Agence des Nations unies pour les réfugiés, la plus forte hausse annuelle jamais enregistrée est survenue en 2022, et la demande augmente encore en 2023. Or, les pays développés comme le Canada ne reçoivent que le quart d’entre eux. Les accueillir est à la fois un devoir moral et une obligation juridique.

Les demandeurs d’asile sont nettement moins nombreux que les immigrants temporaires sélectionnés en vertu de critères économiques.

D’un point de vue québécois, c’est un peu différent.

Ici aussi, les étudiants et travailleurs étrangers temporaires sont deux fois plus nombreux que les demandeurs d’asile. Ces visiteurs temporaires exercent donc la principale pression sur le logement.

Mais c’est tout de même au Québec que les demandeurs d’asile sont proportionnellement les plus nombreux. Trois fois plus nombreux, en fait. Par rapport aux autres provinces, le Québec fait donc plus que sa part.

Résultat : une pression disproportionnée sur le logement et les services publics. Et une facture de 470 millions pour les deux dernières années.

Au Québec, la population est mécontente des réseaux de la santé et de l’éducation. Les caquistes sont heureux de parler d’immigration, un enjeu populaire auprès de leur électorat, et aussi auprès des électeurs qui les ont délaissés pour le Parti québécois.

Mais si les caquistes en parlent, c’est également à cause des défis réels sur le terrain.

Pour travailler, un demandeur d’asile a besoin d’un permis fédéral. Même si l’attente diminue, elle demeure longue. Pendant que la personne est privée de la dignité du travail, Québec doit lui verser l’aide dite de « dernier recours ».

Le Québec offre aussi le logement durant environ quatre semaines à l’arrivée des demandeurs. Seuls 1150 d’entre eux y sont admissibles. Les autres sont pris en charge par le fédéral.

Les enfants des demandeurs d’asile fréquentent les haltes-garderies communautaires, sans avoir droit au réseau subventionné. Ils s’inscrivent dans les classes d’intégration du primaire et du secondaire, dont la fréquentation a augmenté de près de 40 %. Là encore, la cause principale est l’immigration temporaire, mais les demandeurs d’asile accentuent le phénomène. Et aussi la pénurie d’enseignants.

Québec offre des cours de francisation aux demandeurs d’asile. Nuance : puisqu’ils n’ont pas droit aux allocations incitatives, leur participation n’est pas énorme.

Les demandeurs d’asile ont accès à l’aide juridique. Depuis 1996, toutefois, ni eux ni leurs enfants ne sont admissibles à l’assurance maladie pendant l’étude de leur dossier, qui dure de longs mois à cause de la bureaucratie fédérale.

Le Québec s’implique modestement dans l’insertion à l’emploi, avec des projets pilotes en santé et en tourisme. Mais c’est surtout le secteur communautaire qui fait des miracles au quotidien avec un financement malheureusement inadéquat.

Le Québec voudrait que le fédéral paye entièrement pour ces services.

À Ottawa, on rappelle que le Québec jouit d’une entente avantageuse, grâce à laquelle il a reçu 726 millions l’année dernière. Aucune autre province n’a autant d’argent ou d’autonomie. Et historiquement, le Québec ne dépensait même pas entièrement cette enveloppe. Cette année, elle est toutefois presque déjà tout utilisée pour les immigrants permanents et temporaires. D’où la demande de M. Legault de faire payer le reste.

Même si le fédéral couvre déjà des frais d’hébergement provisoire, ça ne suffit plus. Puisque le Québec en fait plus que les autres, il est normal de réclamer une aide équivalente.

Pour la répartition géographique, des solutions sont aussi envisageables. On ne peut pas déplacer les demandeurs comme du bétail. Mais il est possible de leur offrir un trajet pour s’installer dans d’autres provinces ou régions. La preuve, c’est que le fédéral l’a fait durant la pandémie, et que le gouvernement Legault commence à le faire aussi pour acheminer certains d’entre eux de Montréal vers la Capitale-Nationale.

Pour la baisse du nombre total de demandeurs, ce sera plus compliqué. À cause des obligations juridiques, les options sont limitées. Le gouvernement Trudeau n’exclut pas de recommencer à demander aux Mexicains un visa pour voyager au Canada, comme le propose M. Legault. Ils seraient donc moins nombreux à venir. Et donc, moins nombreux à demander l’asile. Reste que l’impact ne serait pas colossal – on estime qu’environ 23 000 Mexicains ont demandé l’asile en 2023 et que le tiers d’entre eux l’obtiendront. Avec le retour du visa, ce nombre diminuerait sans être éliminé.

Voilà en somme le débat. Le Canada et le Québec doivent traiter humainement ceux qui demandent l’asile, mais cela ne justifie pas de se pincer le nez en niant les impacts financiers et la pression sur les services publics. Et là-dessus, le gouvernement Legault a des demandes fort légitimes.

Chemin Roxham : fermeture inutile ?

Depuis la fermeture du chemin Roxham, le nombre de demandeurs d’asile a augmenté. Est-ce à dire qu’elle n’a rien changé ? La réponse n’est pas évidente.

Petit rappel : l’Entente sur les tiers pays sûrs entre le Canada et les États-Unis exigeait qu’un migrant demande l’asile dans le premier de ces deux pays où il posait le pied. Cette entente, qui ne s’appliquait à l’origine qu’aux points d’entrée officiels, s’applique désormais à toute la frontière. Cela signifie que les passages par le chemin Roxham sont traités comme ceux aux douanes terrestres : le migrant doit déposer sa demande aux États-Unis. En d’autres mots, le chemin Roxham a perdu son utilité.

Pour échapper à cette entente, il faut désormais arriver par voie aérienne. Le nombre de demandes faites à l’aéroport a bondi. Ces gens viennent de pays différents. Il s’agit plus souvent d’hommes célibataires. Sur le chemin Roxham, on voyait davantage de familles.

Selon cette hypothèse, il s’agirait d’un ajout de demandeurs, et non pas d’un transfert à partir du chemin Roxham. En d’autres mots, sans sa fermeture, les cas auraient été encore plus nombreux.

D’autres rappellent toutefois que les migrations s’adaptent toujours aux règles, et qu’il s’agirait en bonne partie d’un transfert.

Le fédéral était critiqué historiquement pour sa lenteur et sa sévérité dans la délivrance des visas. Le gouvernement Trudeau a corrigé le tir dans son dernier mandat. Cela a augmenté le nombre de gens arrivant par avion au cours de la dernière année, et certains d’entre eux en profitent pour demander l’asile à l’atterrissage.