En ce début d’année à Québec, tous les regards se tournent vers Jean Boulet et sa réforme de l’industrie de la construction. Surtout ceux de ses collègues.

Le ministre du Travail pilotera un des dossiers chauds de l’hiver. Il s’attaquera entre autres au cloisonnement des métiers, ce qui annonce une confrontation avec les syndicats. Et le résultat risque d’avoir un impact sur plusieurs missions de l’État.

En infrastructures, il y a surchauffe. D’ici 2033, les projets dépassent 150 milliards. Une hausse de 50 milliards depuis la première élection des caquistes. Et il manque de travailleurs pour les réaliser.

En santé, les 33 maisons des aînés promises pour 2022 ont été reportées d’une année. Parmi elles, le tiers est encore en retard. Or, avec le vieillissement de la population, la demande bondira de 70 %. Bref, on ne fournit pas et on se dirige vers un mur.

En éducation, pas moins de 61 % des écoles sont en « mauvais état », selon l’évaluation du Ministère. Et elles continuent de se dégrader plus vite qu’on ne les répare.

En énergie, Hydro-Québec prévoit ajouter 60 TWh d’ici 2035, et jusqu’à 200 TWh d’ici 2050. À court terme, on aura surtout besoin d’ingénieurs et d’autres employés affectés à la planification. Mais les ouvriers en construction devront suivre. Il en faudra en moyenne 35 000 par année. Ce recrutement constitue le principal défi de la transition énergétique, de l’aveu du PDG de la société d’État, Michael Sabia.

En transport, pendant que le gouvernement fait miroiter de nouveaux projets, il peine à entretenir les routes et les transports collectifs. Les travaux de la ligne bleue commencent lentement, et ceux du tramway à Québec pourraient reprendre. Sans oublier les chantiers majeurs comme la réfection déjà amorcée du tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine et celle à venir de l’autoroute Métropolitaine.

Et enfin, il y a le logement. Comme l’a récemment révélé La Presse Canadienne, le gouvernement fédéral avait été prévenu que son augmentation record de l’immigration aggraverait la pénurie de logements. Malgré tout, les libéraux sont allés de l’avant. L’offre ne suffisait déjà pas, à cause entre autres de raisons financières et réglementaires. La hausse de la demande accentue ce déséquilibre. On attend encore le plan de la ministre responsable, France-Élaine Duranceau, mais une chose est certaine : son succès dépendra notamment de la disponibilité et de l’efficacité des travailleurs.

Selon M. Boulet, l’industrie de la construction n’exploite pas son plein potentiel. On se prive de travailleurs, et on ne serait pas assez productif à cause des normes rigides.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre du Travail, Jean Boulet

Le projet de loi était prévu pour l’automne dernier. Il a été reporté pour deux raisons : la grève monopolisait toute l’attention et l’impopularité des caquistes les rendait présumés coupables. Ils voulaient un contexte plus serein pour mener ce débat. Car il sera vif, surtout au sujet de décloisonnement des 25 métiers, comme les carreleurs, plâtriers et briqueteurs.

Le ministre veut augmenter la « polyvalence » pour qu’un travailleur puisse faire davantage de tâches. La majorité des métiers risquent d’être touchés. On donne l’exemple d’une porte d’école – pour la réparer, il faudrait faire appel à sept métiers différents.

Les syndicats crient au sensationnalisme. Selon eux, un charpentier peut le faire seul, ou avec l’aide, si nécessaire, d’un peintre.

L’Association de la construction du Québec a commandé une étude à la firme AppEco. Elle conclut que le secteur serait parmi les moins productifs au pays, essentiellement à cause des conventions collectives et des barrières entre les métiers.

Étant donné l’importance de l’industrie, les conséquences sont majeures. Un gain de productivité de 10 % équivaudrait à la construction de 25 écoles.

Les syndicats jugent ces critiques exagérées. Ils soutiennent que le Québec se démarque par l’expertise de sa main-d’œuvre. Ils craignent une baisse de la qualité et de la sécurité.

Le projet de loi de M. Boulet ratissera plus large. On prévoit qu’il touchera également à la formation, à l’accessibilité, à la mobilité et à la négociation.

Le ministre souhaite assouplir la formation. À l’heure actuelle, il existe deux voies. La voie « régulière », avec un diplôme d’études professionnelles. Et l’« irrégulière », celle des « bassins » – des listes d’apprentis qui détiennent un certificat et qu’on peut repêcher en cas de pénurie.

M. Boulet voudrait créer une voie mitoyenne : une attestation d’études professionnelles, plus courte que le diplôme standard, mais plus exigeante que le certificat. Les syndicats craignent les iniquités entre travailleurs et les compromissions sur la qualité.

Pour l’accessibilité, il ne devrait pas y avoir de bataille. Le milieu de la construction compte moins de 4 % de femmes. Les Premières Nations, les minorités visibles et les nouveaux arrivants sont également sous-représentés. Nombre d’entre eux ne demandent qu’à aider, mais leurs compétences ne sont pas reconnues. Si l’État était moins inflexible, les immigrants pourraient augmenter l’offre de logements pour compenser leur hausse de demande⁠1.

Enfin, M. Boulet espère augmenter la mobilité des travailleurs, une mesure jugée cruciale particulièrement pour les grands chantiers en région. Là non plus, ce ne sera pas simple.

Et reste à voir ce que M. Boulet proposera exactement pour alléger les futures négociations de convention collective.

Après son élection, le gouvernement caquiste donnait l’impression de vouloir en découdre avec les syndicats. Ça s’est mal passé l’automne dernier. M. Boulet espère que ce sera différent. Il pèse ses mots et vise à rassembler. Mais ses collègues feront pression sur lui pour aller jusqu’au bout, en espérant que ça fonctionne.

1. Lisez la chronique de Jean-Philippe Décarie à ce sujet