Quand on manque d’imagination, c’est un réflexe facile. À la première chute dans les sondages, on se dit : pourquoi pas un petit remaniement pour relancer notre gouvernement ?

Mais ça n’arrivera pas en ce début d’année à la CAQ. Pour François Legault, ce serait une très mauvaise idée.

Les plus récents déboires des caquistes résultent de décisions improvisées dans une apparente panique. Un bon exemple : la relance du troisième lien au lendemain de la défaite lors de l’élection partielle dans Jean-Talon. Un remaniement ressemblerait à un aveu d’échec et à une nouvelle manœuvre pour remonter dans les sondages.

Le gouvernement entame la deuxième année de son mandat. Avec le ralentissement économique, elle sera difficile, peu importe ce qu’il fait.

Mieux vaut éviter les gestes qui, pour faire vite bouger l’aiguille, éloignent de l’objectif à long terme : améliorer la vie des élèves et des malades et de ceux qui travaillent avec eux.

Pour que l’humeur des électeurs change, l’impact des réformes devra commencer à être ressenti à partir de 2025, au moins un tout petit peu. Au minimum, les gens devront croire que les projets des caquistes servent à quelque chose.

Le menu de la plupart des ministres déborde déjà. L’année 2024 sera celle de la livraison. Et pour cela, la stabilité est cruciale. Le gouvernement ne veut pas mettre ce travail sur pause en attendant qu’un nouveau ministre apprivoise ses dossiers.

De toute façon, les remaniements ont rarement l’effet qu’on leur prête. L’impact sur les sondages est modéré, comme l’a prouvé celui de Justin Trudeau l’été dernier – nommez de mémoire trois recrues promues au cabinet fédéral…

Ces jeux de chaises musicales servent plutôt à se débarrasser de cancres, à recruter des vedettes – elles sont rares – et à remplacer en fin de mandat des vétérans sur leur départ par de nouveaux visages.

Pour un premier ministre, ce genre d’exercice est périlleux. Les députés d’arrière-ban ont habituellement ceci en commun : la conviction qu’ils seraient meilleurs que le ministre malmené par la plus récente controverse. Un remaniement réveille ces ambitions et les déçoit inévitablement. Cela complique la gestion du caucus. Surtout quand l’équipe, comme celle de M. Legault, compte 88 élus.

Un remaniement sert à relancer un gouvernement, mais celui-ci cherche plutôt des pistes d’atterrissage.

Christian Dubé doit mettre sur pied Santé Québec et en choisir les dirigeants. La fin graduelle du recours aux agences privées de placement se poursuit, tout comme le décloisonnement des professions et l’implantation des cliniques d’infirmières praticiennes. Il y a aussi le plan d’action attendu pour que les gens inscrits au Guichet d’accès à la première ligne puissent voir un médecin dans des délais raisonnables. Sans oublier l’espoir que la numérisation des dossiers mène à la création de la plateforme en ligne « Votre santé ». Et ce n’est qu’un aperçu.

Bernard Drainville a rassuré bien des caquistes avec son plan de rentrée scolaire, salué par le milieu. Si les syndicats acceptent l’entente de principe, il devra trouver les aides à la classe promises, répondre à la demande en classes d’accueil causée par l’immigration temporaire record, mettre sur pied l’Institut national d’excellence et recruter de nouveaux enseignants. Les facultés d’éducation déplorent la pénurie tout en s’opposant à ce que M. Drainville accélère la formation qualifiante pour recruter davantage de diplômés dans d’autres disciplines.

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Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville

En transport collectif, la ministre Geneviève Guilbault est fatiguée d’annoncer des reports et des dépassements de coût. Son projet de loi pour créer une agence est prévu avant l’été. Les attentes sont grandes pour le tramway de Québec, mis sur la glace, et celui qui pourrait être proposé dans l’est de Montréal.

Aux Finances, malgré sa désastreuse initiative d’utiliser les fonds publics pour les millionnaires des Kings, Eric Girard apparaît indélogeable.

Son budget sera encore plus compliqué que prévu. En novembre, il avait réduit de moitié ses prévisions de croissance économique, en plus de puiser dans sa réserve pour imprévus. L’entente de principe avec les syndicats mènera à une hausse récurrente à terme des dépenses de quelques milliards. C’est le prix à payer pour des services publics de qualité.

Au Trésor, Sonia LeBel est appréciée de ses collègues. Après les négociations, sa diplomatie sera une fois de plus mise à l’épreuve. La hausse des coûts en santé et en éducation, combinée avec la morosité économique, mènera à des choix difficiles, et c’est Mme LeBel qui devra dire non à certains ministères.

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La présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel

À l’Énergie, Pierre Fitzgibbon ne bougera pas. Dans un projet de loi attendu, il devra trouver la grille tarifaire qui protégera le dividende retourné à l’État sans fragiliser les PME ni inciter au gaspillage, et qui imposera une juste contribution aux consommateurs industriels. Il voudra également compléter la filière batterie en y concrétisant le volet le recyclage avec une société d’ici. C’est bon pour l’écologie et pour le nationalisme économique. Le contexte actuel complexifiera toutefois le financement de ces projets.

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Le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon

À cela s’ajoute bien sûr le défi colossal de construire ce qui équivaut à la moitié de la production actuelle d’Hydro-Québec. Or, la main-d’œuvre en construction manque. Cela compliquera d’ailleurs plusieurs autres missions fondamentales de l’État – ce sera l’objet de ma prochaine chronique.

Voilà pourquoi en ce début d’année, le gouvernement caquiste cherche la stabilité. Le mot d’ordre à l’interne : cohérence et cohésion. Comme dans : arrêtez de critiquer vos collègues et de braquer les projecteurs sur vous par ambition personnelle ou par incompétence.

Tout gouvernement fait un remaniement ministériel. Il finira par y en avoir un, mais pas avant l’été. Quand alors ? Ça dépendra de la qualité du travail des prochains mois.