À la fin de 2023, le Québec comptait 528 000 résidents non permanents. Une augmentation phénoménale de 167 000 en une seule année ! Dans l’ensemble du Canada, leur nombre atteignait 2,5 millions.

Ces chiffres ont provoqué un choc, dont on a vu cette semaine les conséquences politiques. Le premier ministre Justin Trudeau a reconnu, mardi, pour la première fois, qu’il fallait « remettre de l’ordre » dans la catégorie des résidents temporaires. Son ministre de l’Immigration, Marc Miller, a admis que le système d’accueil des étudiants étrangers était « hors de contrôle ». Et le premier ministre François Legault a déclaré, dans une lettre adressée à son homologue fédéral, que le Québec s’approchait du « point de rupture », en raison du nombre « excessif » de demandeurs d’asile sur son territoire. Pour coiffer le tout, des études établissent un lien direct entre l’immigration et la crise du logement.

Dix questions pour mieux comprendre.

Pourquoi le nombre de résidents non permanents a-t-il explosé ?

La réponse n’est pas simple, parce que le système d’immigration est un véritable fouillis. Il y a cinq filières qui permettent aux résidents non permanents de s’installer au pays. Il y a donc des explosions dans chacune des filières : les demandeurs d’asile, les étudiants étrangers et trois grands groupes de travailleurs étrangers temporaires.

Pourquoi la fermeture du chemin Roxham n’a-t-elle rien réglé ?

Parce que les demandeurs d’asile ont trouvé d’autres façons d’entrer. Selon Statistique Canada, leur nombre a bondi de 51 % au Québec, en 2023. Des données plus détaillées d’Immigration Canada, basées sur les arrivées aux points d’entrée, montrent que de janvier à novembre, 59 735 demandeurs d’asile ont été admis sur le sol québécois, sur un total canadien de 128 685, soit 46 %.

Si le flux des migrants s’est diversifié vers les autres provinces, le Québec reste donc toujours le principal point de chute des demandeurs d’asile. Dans sa lettre datée du 17 janvier, le premier ministre François Legault presse Justin Trudeau de freiner l’afflux de ces demandeurs et de mieux les répartir sur le territoire canadien. « Sur une base par habitant, le Québec en a accueilli trois fois plus que le reste du Canada », souligne-t-il.

Comment s’explique cette hausse ?

Principalement par l’ouverture d’un nouveau canal, l’entrée par avion de titulaires d’un visa de visiteur qui demandent ensuite l’asile, ainsi que de Mexicains, qui n’ont pas besoin de visa. Cela a été facilité par l’assouplissement des critères de délivrance de ces visas, notamment dans des pays africains. La décision d’Ottawa, en décembre, de serrer la vis réduira peut-être le flot des entrées. Le ministre Marc Miller a aussi évoqué la possibilité d’exiger un visa pour les Mexicains.

Dans le cas des demandeurs d’asile, l’unique responsable est le gouvernement fédéral.

On accuse les étudiants étrangers d’aggraver la crise du logement. Est-ce le cas ?

Oui, mais c’est loin d’être le principal facteur. Si les étudiants étrangers représentent une portion importante des résidents temporaires, leur taux de croissance n’est pas exceptionnel. En 2023, selon Statistique Canada, 72 620 personnes détenaient un permis d’études au Québec, contre 65 000 en 2022. Une augmentation de 13 %. S’ajoutent les titulaires d’un permis de travail et d’études combiné : 45 341, en 2023, contre 33 862 un an plus tôt.

Dans l’ensemble, la hausse totalise 23 000 personnes, une faible proportion des 167 000 nouveaux résidents temporaires. Au surplus, ils exercent une pression moindre sur le logement que d’autres résidents temporaires, parce qu’ils ont souvent accès à d’autres ressources, comme les résidences étudiantes.

Pourquoi le ministre Marc Miller parle-t-il d’une situation « hors de contrôle » ?

Parce qu’il y a de « la fraude et des abus » commis par certains établissements, surtout en Ontario. M. Miller a dénoncé ces « usines à diplômes » et menacé de limiter la délivrance de permis d’études dans les provinces où il n’y a pas d’aide au logement. Il a aussi annoncé que les futurs étudiants devraient prouver qu’ils disposent de 20 000 $ pour avoir le droit d’étudier ici.

L’admission de ces étudiants relève des deux ordres de gouvernement. Québec délivre un certificat d’acceptation, et Ottawa accorde ensuite un visa d’études. Québec s’est d’ailleurs plaint du fait que le fédéral refusait d’accorder des visas à des candidats acceptés par la province. Le gouvernement Legault a en outre ouvert les bras aux diplômés francophones avec un système de voie rapide vers la résidence permanente, qui n’est pas soumis au seuil d’immigration.

Y a-t-il trop de travailleurs étrangers temporaires ?

Ça dépend de quoi on parle. Il y a trois grandes filières. D’abord celle du programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET), où les employeurs doivent démontrer que leurs besoins ne peuvent pas être comblés de façon locale. Ces travailleurs se retrouvent souvent dans le secteur agricole, avec des contrats qui les lient à leur employeur. Ensuite, il y a le programme de mobilité internationale (PMI), qui comprend une multitude de filières. La plus importante est celle du permis de travail post-diplôme, près d’un tiers du total, qui permet aux diplômés de travailler ici pour une période équivalant à la durée de leurs études.

Combien compte-t-on de titulaires de permis de travail au Québec ?

Selon Statistique Canada, en 2023, plus de 271 000 personnes avaient un permis de travail ou un permis de travail et d’études. Leur nombre a bondi de près de 100 000 personnes en un an. C’est là que se trouve le plus grand nombre de nouveaux venus.

Où la hausse des travailleurs est-elle la plus forte ?

Dans le PTET. En novembre 2023, même s’il manquait un mois à l’année, le nombre de travailleurs du PTET avait déjà bondi de 49 % par rapport à l’ensemble de l’année précédente. On comptait 57 000 travailleurs dans ce programme. Les travailleurs agricoles baissent dans la proportion. Mais on sait qu’il y a eu des allègements administratifs qui facilitent l’obtention de ces permis de travail, notamment en réduisant l’obligation de démontrer un besoin pour la main-d’œuvre.

Ce sont des emplois spécifiquement demandés par les employeurs, difficiles à couper sans créer des réactions. Le ralentissement pourrait toutefois réduire les besoins.

Et pour les autres travailleurs ?

Le PMI regroupe une foule de permis : ententes internationales, mouvements de personnel des multinationales, programme vacances-travail (PVT), etc. Au Québec, on dénombrait 68 965 titulaires de permis dans ce programme, en novembre 2023, soit 18 % de plus qu’en 2022. Pour les travailleurs post-diplôme, la hausse a été de 32 % entre décembre 2022 et novembre 2023.

Le Québec a-t-il un contrôle sur les travailleurs temporaires ?

Oui, sur plusieurs d’entre eux. Le PTET est un programme dont la responsabilité est partagée entre Québec et Ottawa. Le PMI est de compétence fédérale. Mais si les permis de travail post-études sont également de compétence fédérale, Québec joue un rôle puisque c’est lui qui accepte les étudiants et qui décerne les diplômes.