(Québec) Le Québec est rendu au « point de rupture en raison du nombre excessif de demandeurs d’asile » qui arrivent sur son territoire et la situation est devenue « insoutenable ».

C’est ce qu’a écrit le premier ministre du Québec François Legault à son homologue fédéral dans une lettre datée du 17 janvier, transmise aux médias jeudi matin par le cabinet de M. Legault. Justin Trudeau a répondu en conférence de presse que son gouvernement allait « être là pour partager le fardeau et la responsabilité » de l’accueil des demandeurs d’asile.

Lisez la lettre de François Legault

Sur un ton qui ne laisse aucune ambiguïté, le premier ministre du Québec affirme que depuis le début de 2023, le Québec a accueilli près de la moitié des demandeurs d’asile arrivés au Canada. « Sur une base par habitant, le Québec en a accueilli trois fois plus que le reste du Canada », poursuit M. Legault.

Dans les 11 premiers mois de 2023, 59 735 demandeurs d’asile sont arrivés sur le territoire québécois et selon les projections, ce nombre devrait atteindre 65 000 en 2024.

« Cette pression fait en sorte que les demandeurs d’asile ont du mal à se trouver un toit, ce qui contribue à accentuer la crise du logement, écrit M. Legault. Nombre d’entre eux se retrouvent dans les refuges pour sans-abri, qui débordent. D’autres sont en situation d’itinérance, ce qui aggrave un problème déjà aigu, particulièrement en hiver. »

Tout en soulignant que « les Québécois forment un peuple accueillant » et donnant en exemple les nombreux réfugiés chiliens, vietnamiens, ukrainiens et autres arrivés au fil des ans, M. Legault demande « formellement » à M. Trudeau de « freiner et diminuer l’afflux de demandeurs d’asile qui entrent au Canada en resserrant la politique canadienne d’octroi des visas », de « répartir équitablement les demandeurs d’asile sur l’ensemble du territoire canadien et en fonction des capacités d’accueil », de « fermer toute brèche qui permettrait à des groupes criminels de s’infiltrer au Canada » et de « rembourser au Québec les sommes encourues pour l’accueil des demandeurs d’asile ». Elles s’élèvent en tout à 470 millions pour 2021 et 2022.

Oui, on va être là pour partager le fardeau et la responsabilité de continuer d’être un pays qui accueille des gens de partout dans le monde, mais qui les intègre de façon réussie.

Justin Trudeau, premier ministre du Canada

Réagissant en conférence de presse au Nunavut jeudi après-midi, M. Trudeau également a reconnu que le Québec avait été « extrêmement généreux » à ce jour.

« Nous étudions avec tout le sérieux qu’exige la situation la plus récente demande financière du gouvernement du Québec », a répondu pour sa part le ministre des Affaires intergouvernementales, Dominic LeBlanc, dans une déclaration écrite.

Il a rappelé qu’Ottawa avait déjà déboursé 374 millions entre 2017 et 2020 pour l’hébergement temporaire des demandeurs d’asile, en plus des transferts annuels de 700 millions en immigration pour l’accueil et l’intégration des nouveaux arrivants et les 3,6 milliards du Transfert canadien en matière de programmes sociaux.

« Nous nous trouvons actuellement dans une situation intenable alors que le fédéral ne semble pas du tout comprendre la problématique à laquelle fait face le Québec devant le nombre très élevé de demandes d’asile », a critiqué le porte-parole du Bloc québécois en matière d’immigration, Alexis Brunelle-Duceppe. Il a appelé le gouvernement fédéral à « cesser de nuire », à transférer les sommes dues et à « mieux répartir l’arrivée des demandeurs d’asile entre le Québec et les provinces. »

Le gouvernement Trudeau se doit de répondre à la demande de financement du premier ministre Legault, a soutenu le chef néo-démocrate Jagmeet Singh.

C’est la responsabilité du gouvernement fédéral, dans ce cas Justin Trudeau, de donner les outils, le financement nécessaire pour accueillir les nouveaux arrivants, les réfugiés.

Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti démocratique

Il s’est toutefois gardé de s’avancer sur la question du seuil d’immigration, se limitant à dire que la cible fédérale doit correspondre aux besoins de l’économie et qu’il faudrait faire une analyse pour déterminer à quelle hauteur elle devrait se situer. Elle doit augmenter graduellement pour atteindre 500 000 immigrants par année en 2025.

Au moment de la publication, le chef conservateur Pierre Poilievre n’avait pas réagi.

La CAQ montrée du doigt à Québec

Pour le chef du Parti québécois (PQ), la missive de François Legault à Justin Trudeau est « un geste symbolique » qui ne fera pas bouger le fédéral. Paul St-Pierre Plamondon estime que le premier ministre est « en rattrapage sur les communications » alors que la question de l’immigration et la pression exercée sur le logement font beaucoup de bruit depuis les derniers jours.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Paul St-Pierre Plamondon

« Que François Legault réécrive une lettre disant qu’on veut tous les pouvoirs en immigration, qu’on l’exige. Et s’il échoue, qu’il ait l’honnêteté [de dire] que la seule solution est l’indépendance du Québec », a fait valoir le leader péquiste jeudi, en marge d’une réunion de son caucus à Alma. « Il nous avait dit qu’il avait besoin d’un mandat fort pour rapatrier les pouvoirs en immigration », a-t-il ajouté.

Paul St-Pierre Plamondon s’attend à ce que M. Legault reçoive un énième refus d’Ottawa. « On se doute de la réponse. Le gouvernement fédéral a sa propre idéologie » en matière d’immigration, a-t-il dit. Le leader péquiste a également brandi une lettre envoyée au premier ministre il y a deux ans pour le prévenir des « conséquences graves » qu’auront sur le Québec les politiques d’immigration du gouvernement Trudeau.

Mercredi, le PQ a annoncé qu’il pourrait revoir à la baisse son engagement électoral de ramener les seuils d’immigration permanente à 35 000 en raison de la crise du logement qui s’est accentuée depuis les dernières élections. La formation politique doit aussi préciser d’ici l’été sa cible en matière d’immigration temporaire, qui est devenue selon elle « hors de contrôle ».

Pour sa part, le porte-parole de Québec solidaire (QS) en matière d’immigration, Guillaume Cliche-Rivard, a affirmé dans un communiqué que la lettre de François Legault était un « aveu d’échec ».

Ça fait plus de cinq ans [que François Legault] est incapable de faire respecter le Québec à Ottawa, il est autant responsable du problème que Justin Trudeau.

Guillaume Cliche-Rivard, porte-parole de QS en matière d’immigration

« Nous sommes d’accord qu’il faut une répartition plus équitable des demandeurs d’asile au Québec et que le fédéral doit rembourser les frais encourus par l’accueil. La répartition des demandeurs d’asile doit respecter le poids démographique du Québec », a-t-il déclaré.

Pour le chef du Parti libéral du Québec (PLQ), Marc Tanguay, François Legault « manque de crédibilité et de rigueur ». Sa lettre « brosse un portrait incomplet et partiel, relevant de la diversion, de l’écran de fumée, de l’arbre qui cache la forêt ».

« À plusieurs reprises depuis l’été, il a rejeté l’idée de se donner une cible en matière d’immigration temporaire, a-t-il rappelé dans une déclaration écrite. Il a refusé d’utiliser les moyens à sa disposition pour ramener de l’ordre dans ce dossier. »

Avec Hugo Pilon-Larose, La Presse