L’article « Des enfants capables du meilleur »1, publié en septembre, soulève un questionnement intéressant. Comment se fait-il que les enfants ne semblent plus capables d’atteindre les objectifs éducatifs que nous nous sommes fixés, malgré toutes nos bonnes intentions ?

Plusieurs seront tentés de trouver des explications simples comme la réforme, le non-redoublement ou les années d’austérité qui ont mis notre réseau à mal.

Et si, comme se demande Rafaële Germain, le problème n’était pas ce que les élèves ne sont pas capables de faire, mais plutôt ce que l’école n’est plus capable d’exiger ? Comme plusieurs de mes collègues enseignants, je me pose régulièrement la question. À mon avis, cette situation s’explique par trois grands facteurs.

Premièrement, la marchandisation de l’école publique a déséquilibré le rapport de force entre l’école et la société qu’elle devrait servir. Autrefois, il était attendu que les jeunes, ainsi que leurs parents, s’adaptent aux exigences de l’école. De nos jours, les attentes sont inversées. Les écoles doivent maintenant s’adapter aux besoins (et aux caprices) de leurs clientèles. Modifier la date d’une évaluation pour accommoder un voyage, abaisser les exigences pour réduire l’anxiété, réviser des résultats à la hausse pour ne pas nuire aux chances d’admission, la liste est sans fin.

Deuxièmement, certains bons penseurs ont perverti l’idée de l’égalité des chances pour lui donner un tout autre sens et l’ont transformée en une quête de l’égalité des résultats. L’école publique a malheureusement pris cette tangente, celle d’abaisser les exigences continuellement afin de faire réussir tout le monde, mais cette réussite n’a plus la même valeur. Comme enseignant, je peux vous témoigner que la charge de travail et les exigences que j’ai envers mes élèves ces dernières années ne sont qu’une fraction de ce que j’exigeais en début de carrière, il y a plus de 20 ans de cela. Pourtant, malgré tous ces assouplissements, mes taux de réussite n’ont guère changé. Combiné avec la sacro-sainte gestion axée sur les résultats, il en résulte une école qui cesse de prendre des décisions en fonction de ce qui serait le meilleur pour les enfants en tant que futurs citoyens et qui prend plutôt ses décisions en fonction de cibles comptables de diplomation à atteindre.

Cela nous mène au troisième facteur en jeu. Au fil des deux dernières décennies, nous avons assisté à un nivellement par le bas graduel, mais constant, tant sur le plan des exigences envers les élèves qu’envers la profession enseignante⁠2, sans souci pour l’impact que cela pourrait avoir sur le petit humain assis dans la classe. L’explosion de suppléants dans nos écoles témoigne du peu d’égards que nous avons envers l’enseignement et l’école en général.

Les élèves (ainsi que leurs parents et la société en général) ne fourniront généralement que le minimum exigé d’eux. Lorsque les exigences sont diminuées, les efforts le sont aussi. Si nous rehaussons nos standards, je crois sincèrement que les jeunes sont capables de les atteindre. N’est-ce pas d’ailleurs un des points de fierté de l’école privée, celui d’être plus exigeant et de repousser constamment les limites de leurs élèves ? Cela ne semble pas faire craindre au privé de perdre de la clientèle, au contraire, celle-ci est en constante croissance. Un récent article du New York Times, publié dans La Presse, soulignait d’ailleurs que les écoles des bases militaires américaines performaient mieux que les écoles publiques des autres États, notamment parce qu’elles avaient « relevé le niveau de rigueur attendu des élèves »3. Pourquoi l’école publique ne pourrait-elle pas être tout aussi exigeante ? De peur de perdre des clients ?

L’école publique québécoise, autrefois une de nos grandes fiertés collectives, est capable d’exploits extraordinaires, mais pour cela, il faudra savoir viser plus haut que simplement l’ordinaire. La revalorisation de l’éducation passe par une revalorisation tant du rôle de l’élève que de celui des enseignants.

Si nous exigeons l’excellence, nous saurons l’obtenir. Ce n’est qu’une question de volonté.

*Auteur du livre L’éducation au Québec en ce 21e siècle, aux éditions du Tullinois

1. Lisez la chronique « Des enfants capables du meilleur » de Rafaële Germain 2. Lisez la lettre d’opinion « La revalorisation de la profession passe par les enseignants » 3. Lisez l’article « Quand les écoles de l’armée font l’envie de tout le pays » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue