C’est peut-être le ministère de la Défense qui gère les meilleures écoles des États-Unis

(Fort Moore, Géorgie) Amy Dilmar, directrice d’une école secondaire de Géorgie, est bien consciente des nombreuses crises qui menacent l’éducation américaine. Les pertes d’apprentissage qui se sont accumulées pendant la pandémie de coronavirus. Les inégalités raciales et économiques, qui n’ont fait que s’aggraver. Le fossé qui se creuse entre les élèves les plus performants et les moins performants.

Mais elle ne voit pas grand-chose de tout cela dans son école de Fort Moore.

Les élèves qui résolvent des équations d’algèbre et peaufinent des dissertations à la Faith Middle School fréquentent l’un des systèmes scolaires les plus performants du pays.

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Amy Dilmar, directrice de la Faith Middle School, à Fort Moore

Ce système n’est pas géré par un conseil scolaire local ou un réseau d’écoles à charte, mais par le ministère de la Défense des États-Unis.

Avec environ 66 000 élèves, soit plus que les écoles publiques de Boston ou de Seattle, les écoles du Pentagone destinées aux enfants de militaires et d’employés civils obtiennent discrètement des résultats dont la plupart des éducateurs ne peuvent que rêver.

Dans le cadre de l’Évaluation nationale des progrès de l’éducation, un examen fédéral considéré comme le meilleur indicateur pour comparer les États et les grands districts, les écoles du ministère de la Défense ont obtenu de meilleurs résultats que toutes les autres en mathématiques et en lecture l’année dernière et ont réussi à éviter les pertes attribuables à la pandémie.

Leurs écoles ont obtenu les meilleurs résultats du pays pour les élèves noirs et hispaniques, dont les scores en lecture en huitième année ont dépassé les moyennes nationales pour les élèves blancs.

Les élèves de huitième année dont les parents n’ont obtenu qu’un diplôme d’études secondaires – ce qui laisse supposer des revenus familiaux plus faibles, en moyenne – ont obtenu d’aussi bons résultats en lecture que les élèves de l’ensemble du pays dont les parents ont des diplômes d’études postsecondaires.

Un exemple

Les écoles ont rouvert relativement rapidement pendant la pandémie, mais les résultats de l’année dernière ne sont pas le fruit du hasard.

Alors que les résultats des élèves américains en général ont stagné au cours de la dernière décennie, les écoles militaires ont progressé dans les tests nationaux depuis 2013. Et même si les élèves les moins performants du pays – dans le 25e centile inférieur – ont pris du retard, les élèves les moins performants du ministère de la Défense ont progressé en mathématiques en quatrième année et en lecture en huitième année.

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À l’école primaire E.A. White, à Fort Moore, une armoire à fournitures bien remplie permet aux enseignants de ne pas avoir à payer eux-mêmes certains articles.

« Si les écoles du ministère de la Défense étaient un État, nous nous y rendrions tous pour comprendre ce qui se passe », a déclaré Martin West, professeur d’éducation à Harvard et membre du conseil d’administration de l’examen national.

Ces écoles ne sont néanmoins pas exemptes de problèmes.

Malgré leurs bons résultats, les élèves noirs et hispaniques sont en moyenne moins bien lotis que leurs camarades blancs dans les écoles du ministère de la Défense, même si l’écart est moins important que dans de nombreux États. Le Pentagone a également fait l’objet d’un examen minutieux pour sa gestion des comportements répréhensibles des élèves dans ses écoles – notamment des cas d’agression sexuelle.

Mais alors que les éducateurs du pays tentent désespérément de remédier aux retards attribuables à la pandémie, les résultats scolaires du ministère de la Défense montrent ce qu’il est possible de faire, même pour les élèves aux prises avec des difficultés personnelles. Les familles de militaires déménagent fréquemment et doivent parfois faire face à l’instabilité économique.

Comment les militaires s’en sortent-ils ? En grande partie en gérant un système scolaire qui est à l’abri des nombreux problèmes qui touchent l’éducation américaine.

Les écoles du ministère de la Défense sont bien financées, intégrées d’un point de vue socio-économique et racial, et disposent d’une structure centralisée qui n’est pas soumise aux caprices des conseils scolaires ou des maires.

Il existe une cinquantaine d’écoles américaines pour les enfants qui vivent dans les bases militaires et plus de 100 écoles internationales pour les élèves dont les parents sont stationnés à l’étranger, de la Belgique à Bahreïn.

Longueur d’avance ?

Fort Moore, une importante base militaire anciennement connue sous le nom de Fort Benning, s’étend sur 182 000 acres à la frontière entre la Géorgie et l’Alabama. Environ 1900 élèves fréquentent chaque jour l’école de la base, tandis que leurs parents s’entraînent notamment au tir et au parachutisme.

Les écoles – quatre écoles primaires et un collège – ressemblent beaucoup à des écoles publiques ordinaires. Les élèves arrivent dans des bus jaunes. Les salles de classe sont décorées de dessins aux crayons de couleur et de cartes des États-Unis. Le trottoir devant l’école Faith Middle School est peint de griffes d’ours, en référence à la mascotte de l’école.

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Des élèves à la fin des cours à la Faith Middle School

Mais il y a des différences essentielles.

Pour commencer, les familles ont accès au logement et aux soins de santé grâce à l’armée, et au moins l’un des parents a un emploi.

« La satisfaction d’un maximum de ces besoins fondamentaux contribue à créer un environnement propice à l’apprentissage », a affirmé Jessica Thorne, directrice de l’école primaire E.A. White, qui compte environ 350 élèves.

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Jessica Thorne, directrice de l’école primaire E.A. White

Ses enseignants sont également bien payés, grâce au budget du Pentagone qui alloue chaque année 3 milliards US à ses écoles, soit bien plus que les districts scolaires de taille comparable. Bien qu’une grande partie de cet argent soit consacrée à la logistique complexe des écoles internationales, le ministère de la Défense estime qu’il dépense environ 25 000 $ par élève, soit autant que les États les plus dépensiers comme New York, et bien plus que des États comme l’Arizona, où les dépenses par élève s’élèvent à environ 10 000 $ par an.

« J’ai doublé mes revenus », a indiqué Heather Ryan, enseignante à l’école primaire E.A. White. Au début de sa carrière en Floride, elle gagnait 31 900 $ US ; après avoir été mutée dans l’armée, elle gagnait 65 000 $ US. Avec plus d’années d’expérience, elle gagne aujourd’hui 88 000 $ US.

Des salaires compétitifs, adaptés au niveau de formation et d’expérience, permettent de retenir les enseignants à un moment où beaucoup d’entre eux quittent la profession. À l’école primaire E.A. White, les enseignants ont généralement entre 10 et 15 ans d’expérience, selon Mme Thorne.

« Choses fondamentales »

Prudence Carter, sociologue à l’Université Brown qui étudie les inégalités en matière d’éducation, affirme que les résultats obtenus par le ministère de la Défense montrent ce qui peut se produire lorsque tous les élèves bénéficient des ressources d’un enfant typique de la classe moyenne : logement, soins de santé, nourriture, enseignants de qualité.

Nous ne parlons même pas de richesse – qu’ils puissent aller dans des camps d’été luxueux, par exemple. Nous parlons de choses fondamentales, de choses de tous les jours.

Prudence Carter, sociologue à l’Université Brown

La vie militaire s’accompagne de ses propres hiérarchies, avec des salaires de base allant de 25 000 $ US pour un soldat débutant à des salaires dans les six chiffres pour les officiers expérimentés. À Fort Moore, les officiers de haut rang vivent dans des maisons blanches en stuc, tandis que les soldats enrôlés vivent dans de modestes duplex. Environ un tiers des élèves de la base bénéficient d’un repas gratuit ou à prix réduit.

Mais les écoles sont plus intégrées sur le plan socio-économique et racial que beaucoup d’autres aux États-Unis. Les enfants des jeunes soldats suivent les mêmes cours que les enfants des lieutenants-colonels. Ils jouent dans les mêmes ligues sportives après l’école.

Cette situation est le reflet d’une histoire qui remonte à 1948, lorsque le président Harry S. Truman a ordonné à l’armée de procéder à la déségrégation de ses forces. Dans les années qui ont suivi, l’armée a créé des écoles intégrées, principalement dans le Sud, alors que les écoles publiques locales restaient ségréguées.

Aujourd’hui, les écoles du ministère de la Défense comptent 42 % de Blancs, 24 % d’Hispaniques, 10 % de Noirs, 6 % d’Asiatiques et 15 % d’élèves multiraciaux.

« L’armée n’est pas parfaite, il y a toujours du racisme dans l’armée », a indiqué Leslie Hinkson, ancienne sociologue de l’Université de Georgetown qui a étudié l’intégration dans les écoles du ministère de la Défense. « Mais ce qui est distinctif, a-t-elle ajouté, c’est cet accès aux ressources d’une manière qui n’est pas raciale. »

Précision militaire

Sur le plan national, les frontières des districts scolaires sont souvent tracées en fonction de la classe sociale et de la race, ce qui crée des disparités flagrantes en matière de ressources. En 2021, près de 40 % des élèves noirs et hispaniques des écoles publiques fréquentaient une école très pauvre – un taux de trois à cinq fois supérieur à celui des élèves asiatiques et blancs.

Les écoles du ministère de la Défense ne sont pas à l’abri d’autres conflits, notamment les débats sur la race, le sexe et l’identité.

Mais les écoles sont par nature moins politiques – les grandes décisions sont prises au niveau du quartier général – et donc moins tumultueuses.

Un exemple concret : un remaniement scolaire qui a commencé en 2015 et qui n’a pas bougé depuis.

Les responsables de la Défense attribuent l’augmentation récente des résultats aux tests en partie à cette refonte, qui visait à relever le niveau de rigueur attendu des élèves.

Ces changements présentent des similitudes avec le Common Core, un mouvement de réforme politiquement difficile qui visait à aligner les normes entre les États, les élèves devant lire davantage de textes non romanesques et approfondir les concepts mathématiques.

Mais contrairement au Common Core, qui a été mis en œuvre au hasard dans tout le pays, le plan du ministère de la Défense a été orchestré avec une précision toute militaire.

Les responsables ont décrit un déploiement méthodique, une matière à la fois. Nouveau programme d’études. Formation des enseignants. Coordination mondiale, afin qu’un élève de cinquième année à Fort Moore apprenne la même chose qu’un élève de cinquième année à Kaiserslautern, en Allemagne.

Il a fallu six ans pour mener à bien ces changements, soit plus longtemps que le mandat moyen d’un directeur d’école publique.

La planification logistique, y compris un budget prévisible, « n’est pas très sexy », mais c’est l’une des clés du succès, a déclaré Thomas M. Brady, directeur des écoles du ministère de la Défense depuis 2014.

Cet article a d’abord été publié dans le New York Times.

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