Dans la très longue liste des sujets clivants qui suralimentent nos conversations privées et les débats publics : l’école. On en parle tout le temps, partout, chaque fois que sort une statistique affligeante, ou qu’un cas particulier attire l’attention collective sur l’incurie de ce qui devrait être notre plus bel édifice.

J’ai beaucoup aimé l’école. C’était à la lointaine époque où celle-ci ne cherchait pas à plaire, personne ne parlait de luminosité et de qualité de l’air, d’espaces ouverts et de milieux de vie, on était à des années-lumière du bois blond et des bean bags. Ceux qui aimaient l’école l’aimaient pour des raisons personnelles et souvent un peu louches – je traînais pour ma part ce qu’on appellerait sans doute aujourd’hui une anxiété de performance qui rendait la réussite scolaire extrêmement attirante, et je trouvais dans la routine scolaire et le silence des classes un contrepoids à l’imprévisibilité de ma vie familiale.

Nous avions tous nos bibittes dont l’école ne se souciait guère, à moins qu’elles ne nuisent à son bon fonctionnement, auquel cas l’empathie n’était pas exactement au rendez-vous – il fallait des drames costauds, des menaces tangibles pour qu’une intervention se concrétise, un père suicidé, des marques de violence, la fin d’un monde, et encore.

Une jeune fille arrivée du Liban complètement traumatisée avait reçu cette phrase : « Mais assoyez-vous, quand même, y a pas une bombe qui va nous tomber dessus. »

C’était un collège privé, ce dont j’ai toujours été un peu gênée, autrefois parce que « ça faisait snob », aujourd’hui parce que je me sens moins autorisée à participer au débat. Il y a cela dit ce grain de sel que je peux ajouter : tous ceux avec qui je suis allée à l’école en sont sortis avec une maîtrise à peu près complète de la grammaire et de l’orthographe. Il y avait là-dedans des cancres et des premières de classe, des TDA non diagnostiqués, de nouveaux arrivants débarqués en plein milieu d’une année scolaire, des anglophones, des allophones, des paresseux, des redoubleurs, des gens qui avaient certainement des troubles d’apprentissage et qu’on n’a jamais tenus par la main, des bûcheuses et des têtes d’œuf, tout un microcosme qui a assimilé, tant bien que mal et avec plus ou moins de bonheur, les règles d’accord du participe passé.

Des facteurs socio-économiques entrent bien sûr en jeu, les temps de verbe s’apprennent mieux quand les élèves ont le ventre plein et que l’école ne doit pas faire des pirouettes bureaucratiques pour obtenir du matériel. On se familiarise un peu plus rapidement avec les verbes du troisième groupe quand la prof n’investit pas une bonne partie de son temps à pallier une orthopédagogue débordée qui ne fournit plus.

N’empêche, toute cette cohorte hétérogène est arrivée à intégrer que les si n’aiment pas les rais et que ce et se ne sont pas interchangeables. Je ne suis pas en train de vanter les mérites du privé ou de souhaiter un retour aux méthodes d’autrefois, je dis seulement : c’est possible, et ça l’est depuis longtemps, ceux qui ont leurs racines ici ont tous une tante qui, du haut de sa huitième année, écrit un français impeccable.

Et c’est là qu’à mon grand dam, je rejoins les rangs ahuris et souvent stridents de ceux qui se désolent, parfois très publiquement, du fait que nos écoles nivellent désormais par le bas, dans le but avoué de diplômer la plus grande quantité d’élèves possible.

L’intention de départ est évidemment louable, le projet est d’une bonne foi inattaquable : on veut que tout le monde puisse réussir. Après, reste à savoir si ce sont les enfants que l’on protège ainsi, ou les centres de services scolaires, mais dans les faits, comment s’élever contre une initiative dont les mots clefs sont éducation et réussite ? Comment ne pas se haïr un peu soi-même quand on insinue, du haut de ses privilèges, que l’école devrait peut-être, je ne sais pas, être un peu plus tough ?

Parce que j’ai beau vanter les mérites d’une éducation plus intransigeante, qu’on me montre un seul enfant un peu largué, qu’on me fasse valoir que certains parcours scolaires sont des traversées du désert ou des chemins de croix que me voilà prête à défendre tous les compromis, pourvu que jamais une petite main ne se lève sans que s’y dépose une question bienveillante. Oui, toi, qu’est-ce que je peux faire pour toi, comment est-ce que je peux t’aider, qu’est-ce que tu ne comprends pas ?

Comment trouver un compromis entre rigueur et bienveillance ? La question est facile à poser, aussi bien se demander quel est le sens de la vie, mais d’autres nations ont trouvé leurs réponses, au cœur desquelles bat cette idée qu’éducation rime avec fierté, dignité et liberté, et la conviction que les enfants, pourvu qu’on leur en donne les moyens, sont toujours capables du meilleur.

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