Plaidoyer pour la chanson française, comme instrument pédagogique et ciment de la société

Au lendemain de la grande fête soulignant la chanson d’ici, alors que nous pleurons toujours le départ de Guy Latraverse et que nous plaidons pour plus de culture à l’école, pourquoi ne pas ouvrir toute grande la voie à 100 000 chansons ? J’utilise la chanson en classe comme hors-d’œuvre pour discuter de l’actualité et d’histoire. Les luttes des femmes hier comme demain trouvent bien des échos dans les chansons de Diane Dufresne, Céline ou Angèle.

Parlant d’amour tout autant que d’égalité, ces créatrices permettent à des jeunes d’entendre des mots qui sonnent juste et élèvent le débat. Et mine de rien, la chanson leur donne un ancrage dans leur pays de naissance ou leur société d’accueil. Aux plus timides, je fais entendre Luc De Larochellière, qui a surmonté son bégaiement, et la discrète Lhasa de Sela, qui a profité d’un long hiver pour créer son premier album, La Llorona, qui charme encore le monde entier. L’Amère America et Sauvez mon âme de Luc De Larochellière, deux de ses chansons phares, permettent d’aborder les inégalités entre pays et la parfois trop grande présence du religieux dans notre époque.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Lhasa de Sela, en 2009

Les chansons servent à mieux nous connaître. Spotifiy, YouTube et leurs algorithmes proposent si peu de chansons d’ici et de la francophonie, alors bien des professeurs font leur part du travail. Je suis charmé par l’ami qui utilise Beau Dommage, Les Colocs et Loco Locass pour ses cours d’histoire du Québec moderne. Ou encore, par une autre professeure d’art dramatique qui propose des vidéoclips de Daniel Bélanger et d’autres des années 1990 pour aider ses élèves à créer leur propre univers.

La folie lorsque j’ai apporté en classe pour la première fois une table tournante et des 33 tours ! Vous dire le bonheur d’un professeur !

On change la face anxieuse de l’un avec la face A de Starmania, on change la face de l’air bête grâce à la face B de Leloup.

Des leçons de français à partir des textes, des débats à partir des thèmes. Piché, Séguin et Clémence viennent en renfort pour parler de la vie en usine, de luttes syndicales passées et de nos ancêtres francophones, loin d’avoir été des privilégiés.

Pour parler du lâcher-prise et des deuils liés à l’immigration, les Rita Mitsouko ont plus d’un succès dans leur best of ! « Et je vois s’éloigner/Mon pays adoré/Tout ce que j’ai aimé… »

Quand mes élèves me disent, le lendemain d’un cours, que YouTube leur a enfin suggéré un autre artiste francophone, qu’ils ont « découvert » Aznavour, Émeline Michel ou Les Cowboys Fringants, ça me touche. On ne change pas les autres à force de les aimer, chantait Diane Tell, mais on peut changer des mentalités à force d’écouter des chansons.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Florent Vollant, au printemps dernier

Des chanteurs engagés, pères et mentors, ça aide à donner de beaux rôles de masculinité positive aux gars : emmenez-en, des Desjardins, des Rivard et des Florent Vollant. Lui, je peux parler de son Kashtin d’hier, puis donner la parole à Elisapie Isaac avec Arnaq, des portraits de femmes modernes vivant, comme mes élèves, des hauts et ses bas.

Toute la classe rigole en voyant les looks de Michel Fugain et son Big Bazar, mais leurs chansons utopistes résonnent tellement avec leur écoanxiété. Notre paradis terrestre est menacé, la guerre inquiète et divise, comme Daniel Lavoie le chante encore si bien avec son Ils s’aiment.

La chanson, c’est plus qu’un divertissement : c’est du ciment dans une société où les repères s’effondrent, c’est un ancrage dans l’ici, le meilleur lien entre hier et demain.

Protéger la trame sonore de nos vies

Au lendemain du 45e gala de l’ADISQ, la directrice générale et le président de l’organisme, Eve Paré et Jean-François Renaud, appellent au soutien de nos musiques, afin qu’elles continuent de rythmer nos vies et soient un témoin de notre identité et de notre histoire.

Lisez la lettre des dirigeants de l’ADISQ

*L’auteur a aussi signé le roman Samira, Dany et moi, publié chez Robert Laffont. Il est également l’auteur de la série Écrivain public (diffusée dans 19 pays).

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