Le travail de maire, comme celui de politicien en général, ne s’apprend pas à l’école. On l’apprend sur le tas. J’étais un maire fraîchement élu et j’hésitais pourtant à appeler mes homologues pour demander conseil. C’était une erreur. Il faut dire que celui que j’avais surtout le goût d’appeler était tout un numéro. Il était au sommet de sa popularité et sa franchise était à la fois séduisante et extrêmement intimidante. La personne que j’hésitais à appeler était Régis Labeaume.

Nous nous étions connus au caucus des maires des grandes villes du Québec et, à mon grand étonnement, ça avait cliqué entre nous. Je dis à mon grand étonnement, car je confesse être de ceux qui voyaient en lui une bibitte assez bizarre, sorte d’électron libre politique oscillant entre l’homme d’État et l’hurluberlu ! Je me souviens d’une entrevue où, en réponse à une question sur ses contributions pour le moins originales au débat public, il avait dit quelque chose du genre : « Je m’améliore ! Avant je disais une niaiserie par semaine, là je dois être rendu à une par mois ! » C’est cette franchise qui me séduisait.

Je ne me rappelle pas le moment exact où je me suis dégêné, mais je sais que ça aurait dû être beaucoup plus tôt dans mon mandat. Quand j’ai décidé de l’appeler, il m’a rappelé immédiatement.

Il a commencé par me sermonner en me disant de ne plus jamais passer par son bureau, de le texter directement. J’avais l’impression qu’il avait tout tassé dans son agenda pour prendre mon appel. Je lui ai parlé de ce qui me turlupinait, nous avons jasé longtemps, il a été généreux.

Quelques jours après notre conversation, un samedi matin vers 9 h, alors que je lisais mon journal en compagnie de ma douce épouse, le téléphone sonne : « Maxime, c’est Régis, comment ça va, ton affaire ? » Il voulait avoir des nouvelles. Son intérêt était authentique. Ça a été le début d’une belle relation de travail qui, avec le temps, s’est transformée en amitié.

Pourquoi je vous raconte tout ça ?

Parce qu’il y aurait moins de démissions, plus de bonnes décisions et plus de bonheur dans le monde municipal, et je dirais dans la politique en général, si les élus de villes différentes se fréquentaient un peu plus.

Redisons-le : la fonction de politicien ne s’apprend pas à l’école. Les échanges entre élus d’un même conseil sont évidemment utiles pour mieux travailler, mais les échanges avec un homologue d’ailleurs au Québec, détaché des enjeux locaux, politiquement désintéressé, n’ont pas de prix.

C’est dans cet esprit qu’avec quelques personnes, j’organise bénévolement une activité pour faciliter l’entraide chez les élus. En septembre prochain, à Gatineau, se tiendra donc le premier Rendez-vous de la nouvelle vague municipale⁠1.

Nous avons choisi l’expression « nouvelle vague » pour décrire les élus qui participent au grand mouvement de changement qui traverse le monde municipal. Ce sont des élus qui considèrent les villes comme des gouvernements locaux, responsables de ce qui se passe sur leur territoire, même dans de nouveaux domaines d’intervention pour les municipalités, comme l’itinérance ou encore l’accueil des immigrants. Des élus habités d’un sentiment d’urgence en matière d’environnement. Des élus qui croient que les promoteurs doivent s’adapter à la planification municipale et non l’inverse. Des élus qui veulent stimuler la participation citoyenne et moderniser la fiscalité municipale.

Nous échangerons sur les défis auxquels cette nouvelle vague est confrontée. Par exemple, quoi faire, comment réagir, qui appeler quand l’administration municipale résiste au changement ? Quelle contribution les précieux partenaires de la société civile peuvent-ils apporter ? Comment des conseils municipaux où s’entrechoquent des visions très différentes du rôle des municipalités arrivent-ils à avancer ensemble ? Nous jaserons aussi, tout simplement, pour créer des liens.

Les élus actifs peuvent s’entraider, mais les « anciens » ne sont pas inutiles !

Fondée en 2017, et encore assez peu connue, l’Association québécoise des anciennes élues et des anciens élus municipaux (AQAEM) s’est donné comme mission de faire profiter le monde municipal de l’expérience de ses membres. « Servir encore » est sa devise. À l’automne, elle devrait annoncer un certain nombre de programmes (mentorat, accompagnement, etc.), gratuits ou presque, qui aideront, eux aussi, les élus actuels à répondre aux défis auxquels ils sont confrontés⁠2.

Les démissions fracassantes dont nous avons été témoins cette année et la couverture de presse dont elles ont fait l’objet pourraient avoir un impact extrêmement négatif sur les prochaines élections municipales. Qu’on aime ou non les politiciens et la politique, ils sont absolument nécessaires. Il nous faut des gens qui pensent le collectif, qui gèrent nos ressources communes, qui construisent notre avenir avec nous et pour nous. Leur tâche est lourde. S’ils se dégênent un peu et qu’ils prennent le temps de parler un peu plus à leurs homologues, leur vie politique en sera plus légère et plus féconde.

Ils pourraient même y trouver l’amitié !

1. Consultez l’évènement Facebook 2. Consultez le site de l’AQAEM Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue